Salut à vous, cyberlectrices et lecteurs,
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Un petit message de service pour commencer : je vais désormais m’accorder le droit de vous écrire quand bon me semble. Je n’ai plus tellement le temps de tenir cette newsletter, ou en tout cas d’en écrire des éditos aussi fouillés que ce que j’aimerais, chaque semaine. Je préfèrerais passer plus de temps à développer d’autres projets. Sauf que l’actualité m’empêche quelquefois de rester silencieuse : je me vois lire des articles, repérer des productions journalistiques brillantes et vouloir les partager. Je trouve plus intéressant d’en sélectionner quelques-uns, et de prendre le temps de vous expliquer pourquoi je vous les fait conseille plutôt que de simplement les partager sur Twitter. Cela me permet d’expliquer une problématique numérique actuelle, une évolution technologique en cours, ou juste un sujet qui me tient à coeur.
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Ce qui m’a fait commencer à écrire cette édition, il y a deux semaines, n’a d’ailleurs strictement rien de technologique. C’est ce long témoignage (5 épisodes, en réalité) publié par Slate, d’une autrice anonyme. Elle raconte son viol, le parcours judiciaire qui a suivi en Australie, et tous les états par lesquels elle a pu passer au cours de ces 15 mois de combat. Il faut le lire pour comprendre ce que ça fait, d’être violée ; il faut le lire pour réaliser qu’il est possible de gérer ce type d’affaire autrement que ne le fait le système judiciaire français. Il faut le lire, aussi, pour s’indigner.
Pourquoi l’indignation ? Parce qu’en partageant ce texte avec différents groupes d’amies, j’ai de nouveau constaté qu’une grosse majorité d’entre elles avaient des histoire d’agressions sexuelles, voire de viols, à raconter. Ca plonge dans un sacré sentiment d’impuissance, de brusquement lire une succession de témoignages au détour d’une conversation Messenger. Mon espoir est donc que l’indignation pousse à se renseigner, à agir. L’une de mes méthodes toute personnelle consistant à partager de l’information sur des problématiques féministes, au détour de discussions sur le numérique. Voire, quelquefois, d’en faire le centre de mon propos.
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J’ai abandonné mon brouillon, et puis l’actualité est revenue me chercher, pour mettre une autre problématique sociale au centre de mes réflexions : Que faire devant le décès de George Floyd, celui de David McAtee aux États-Unis, et la vague qui s’est levée un peu partout sur la planète ? Que dire des violences policière telles qu’elles existent aussi ici en France ? Qu’en dire d’un point de vue technologique, sujet plus habituel pour cette newsletter ? Évoquer le rôle des réseaux sociaux, leur laisser-faire face à certaines idéologies dangereuses, face à certaines prise de parole de chefs d’État ? Lucie Ronfaut a écrit quelque chose d’assez juste à ce sujet : il faut savoir parler de racisme avant de parler de technologie. Aller droit au but, quand le besoin s’en fait sentir. Autrement, on brouille le vrai sujet : celui des inégalités, celui des dysfonctionnement structurels de nos sociétés.
Car, si le numérique est quelquefois présenté comme une solution, ne rêvons pas : tant que nous ne réfléchirons pas au fond du(des) problème(s), les innovations disruptives de start-up au grand coeur n’auront jamais de meilleur effet qu’un pansement sur une jambe de bois. Bien sûr, il arrive que s’intéresser à un sujet technologique permette de découvrir un symptôme d’une inégalité méconnue. Mais cela n’empêche que prendre le temps de décentrer le regard de nos sujets de prédilection (ou simplement de nos petites habitudes) ; prendre le temps de se renseigner : voilà probablement la seule manière de prendre la mesure des mécanismes rendant certaines de nos manières d’agir ou de penser injustes, en tant qu’individu ou que société.
Chez les journalistes, par exemple ? Le manque de diversité, déjà évoqué ici du point de vue de la représentation des femmes, est effarant. Pour ce qui est de la représentation de personnes non blanches, c’est pire. Aux États-Unis, par exemple, les rédactions sont constitués de plus de personnes blanches (77%, selon le Pew research center) que n’importe quel autre métier (65% en moyenne). Et c’a nécessairement un impact sur la manière d’informer et de raconter les vécus (écoutez ceci pour en savoir plus). Pourtant, l’un des rôles des médias devrait être celui-là : renseigner tout un·e chacun·e sur ce qu’il se passe hors de sa bulle, chez les gens qui nous sont différents, qu’ils vivent à la campagne alors que l’on réside en ville, qu’elles soient âgées si l’on est jeunes, qu’ils, elles soient noir·es si l’on est blanc·hes, et l’inverse. Dans un monde idéal, les journalistes parviendrait à représenter l’infinie palette de communs et de particularités qui constitue notre société.
Comme ça n’est pas le cas, je crois qu’il faut, plus que jamais, faire la démarche de se renseigner, prendre la peine d’écouter celles et ceux dont on n’écoute jamais vraiment la parole. Et aux journalistes qui me lisent : diversifiez vos sources, diversifiez vos sujets, et poussez pour la diversification de vos rédactions.
Cette tirade passée, laissez-moi donc vous conseiller quelques éléments intéressants sur le racisme.
Le super collectif Women who do stuff a dressé une liste de plein de ressources pour comprendre le racisme et ses effets, à destination de celles et ceux qui ne l’ont jamais vécu. Si c’est votre cas, allez- y faire un tour. (Womenwhodostuff)
“Deux pages arrachées aux romans nationaux des États-Unis et de la France”. On apprend peu de l’Histoire coloniale, l’Histoire telle qu’elle a été vécue par les populations non-blanches, à l’école. Ca n’est pourtant pas faute de faire partie d’un ancien pays colonisateur. Voici un article qui vient faire le récit de deux massacres qui ont heurté l’histoire relativement récente des noir·es en France et aux États-Unis et dont moi, blanche, je n’avais aucune conscience. (Slate)
Sur les violences policières en France, cette glaçante enquête d’Arte Radio - si c’est trop dur à écouter, passez par la version écrite sur Mediapart -, cette autre enquête de StreetPress et cet interview du jeune Gabriel, violemment frappé par la police la semaine dernière, sur Loopsider.
Une interview croisée entre Assa Traoré, la soeur d’Adama Traoré, mort à la suite d’une interpellation policière en 2016, et Angela Davis, grand nom de l’antiracisme et du féminisme américain. (Ballast)
Plein d’autres recommandations culturelles dans l’édition de ce matin de What’s good. D’ailleurs abonnez-vous. (What’s good newsletter)
Côté numérique, il sera certainement temps de revenir sur ce qu’il se passe actuellement une fois les émotions retombées. Si vous lisez l’anglais, je vous recommanderai simplement (et probablement pour la 1000e fois, si vous me suivez depuis longtemps) une enquête de ProPublica sur les biais des algorithmes. Elle date de 2016, mais elle reste, selon moi, un exemple parfait de la manière dont les technologies peuvent mettre en lumière un problème structurel grave - en l’occurrence, le racisme des institutions judiciaires américaines. (ProPublica)
D’autres choses intéressantes, plutôt anglées inégalités femmes-hommes
Au sein de sa rédaction, le Monde a constitué un groupe de journalistes dont le travail a consisté à enquêter sur les féminicides pendant un an. Le résultat est un supplément de 14 pages paru le week-end dernier, que vous pouvez aussi retrouver en ligne. Leur travail a aussi donné lieu à un documentaire, que vous pouvez voir en replay sur France 2. (Le Monde, France 2)
Aude Lorriaux signe un super travail d’enquête mené avec Julie Ancian, sociologue à l’Inserm, sur l’usage des pilules contraceptives : pourquoi les femmes qui en prennent continuent de se faire saigner chaque mois alors qu’elle n’en ont plus besoin ? Pour tout un tas d’explications historiques, sociales, rarement scientifiques, et quelquefois un poil effarantes. (20 Minutes)
Et pour finir
Un conseil culture
Pour terminer cette édition sur un ton moins lugubre, je vous propose quelques objets culturels testés et approuvés.
En série, Dear White People, qui suit la vie de quatre étudiants noirs sur un campus américain. Et When they see us, quatre épisodes réalisés par Ava Duvernay, retraçant l’erreur judiciaire qui conduisit 4 adolescents noirs à passer plusieurs années en prison pour un crime qu’ils n’avaient pas commis. Les deux sont disponibles sur Netflix.
En roman de fiction, Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor, et dont je vous parlais plus longuement ici. Probablement l’une des lectures qui m’ait le plus marquée au cours des mois passés. Et l’immanquable Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie.
À très vite,
— Mathilde