Hello à tous et à toutes,
bienvenue aux nouvelles et aux nouveaux !
Depuis quelques temps, en me promenant à Paris, je remarque de plus en plus des restaurants d’un genre particulier : pas de tables ni de chaises, un comptoir, ou quelquefois une simple porte, et, en guise de clients, uniquement des livreurs. En fait, plutôt que de restaurants, il s’agit de simples cuisines. Et en ce jour faste de Black Friday, où la majorité des achats effectués le seront en ligne, je sais que ces coursiers seront rejoints par la cohorte d’employés d’entreprises de transports, venus délivrer tous les produits commandés. Alors aujourd’hui, penchons-nous s’il vous plaît sur notre nouvelle méthode de consommation, j’ai nommé : la livraison.
Est-ce que vous aussi, quand vous étiez petit.e.s - ou plus jeunes -, vous receviez de gros colis de courses à la maison ? Moi oui, et je m’en souviens comme d’une petite fête, pour les gamin·e·s que nous étions, tous ces paquets à déballer. Pour ce type de courses, avant que les grands distributeurs ne prennent le relais, on a même vu des opérateurs aux marques décédées aussi vite qu'elles étaient nées (qui ici se souvient de Ooshop ? Ou de Telemarket ?) se charger d’acheminer les achats à bon port.
Depuis, la livraison est devenu modalité pour à peu près n’importe lesquelles de nos emplettes : repas (Uber Eats, Deliveroo, Frichti et j’en passe), livres (Amazon, Fnac, lalibrairie.com), lampes, joints de culasse, n’importe quel cadeau, médicaments (Amazon, Amazon, Amazon encore Amazon - mais pas encore France, à la place, il y a Otzii)... Je force le trait, car Amazon est loin d’être la seule entreprise de ce marché - qui représentait tout de même 23,96 milliards de milliards de dollars en 2018 à l’échelle du globe. Mais l’entreprise de Bezos a très certainement participé à transformer l’acte d’achat, pour y associer l’idée de service. Et cette facilité nous pousse à consommer depuis notre canapé, sans trop nous poser de questions.
C’a des effets tangibles dans notre environnement, pourtant. Dans la restauration, pour soutenir l’offre, on a vu s’ouvrir de ces restaurants sans tables ni clients. Dans le commerce de détail, l’explosion de la taille des entrepôts est un bon indicateurs de celles des volumes vendus. Le Guardian compare ainsi les 8 500 m2 du premier hangar de stockage d’Amazon aux près de 186 000 m2 de son plus grand espace britannique actuel, qui n’est pourtant qu’une unité de transit des produits parmi des quantités d’autres. Quant aux fameux volumes : le e-commerce représente quelques 92,6 milliards d’euros en France cette année, tandis qu’en Chine, Alibaba a dépassé les 38 milliards de dollars de biens vendus pour la seule fête du Single’s Day, le 11 novembre.
Tous les secteurs réunis, les allers-venus des coursiers - livreurs (très rarement des femmes) acheminant ces consommables posent de vraies problématiques logistiques, en termes de garage, de circulation. New-York devient fou, raconte le NYT, à force de voies bus ou de vélos bloquées par des camions. Pas improbable que ça devienne pareil chez nous : pour le week-end du Black Friday, la Mairie de Paris prévoit “2,5 millions de livraisons par jour, soit dix fois plus que le nombre de colis quotidiens le reste de l’année”. Ajoutez-y un fort impact environnemental, provoqué aussi bien par les innombrables emballages que par les transports, et la fracture sociale qui sous-tend le système de plateformes de livraison (une très belle enquête est tout juste parue dans Libé à ce sujet)... Et vous avez un tableau un peu plus précis de ce qu’il se passe derrière nos clics et la jolie expérience client qui accompagne nos achats en ligne.
Ce qui me fascine, dans cette histoire, c’est que malgré le boom que je viens de vous exposer, et les grands chamboulements que cela provoque, des géants comme Amazon en sont maintenant à ré-ouvrir des magasins de proximité. Une stratégie qui répond certainement à certains voeux de ses clients, puisque l’entreprise de Jeff Bezos se veut “la société la plus centrée sur le consommateur au monde”. Mais j’ai un peu de mal à me représenter la manière dont achats de proximité et achats en ligne sont voués, dans le futur, à s’articuler.
📨 Un avis, une question, une idée ? Un sujet que vous voudriez me voir expliquer ?
Pour me joindre, répondez à ce mail ou contactez-moi sur twitter.
📷 Une image
Jour de livraison (Paris, 2018)
💻 En ce moment, sur l’IA, les plateformes, et nous, je lis :
“Pour un futur aux IA plus sûres, il nous faut profiter d’une perspective féminine”, voilà une tribune dont on peut débattre du titre, un brin essentialiste, mais qui fournit une super liste d’une vingtaine de chercheuses (mes favorites danah boyd, Zeynep Tufekci, Cathy O’Neil), journalistes (Kara Swisher - super portrait dans Les Echos), entrepreneuses (Daphne Koller) aux travaux passionnants.
Kylie Jenner a vendu 51% des parts de sa société de cosmétiques, empochant un chèque de 600 millions de dollars et valorisant son entreprise 1,2 milliard. Joli résultat pour un projet lancé en 2015 (Kylie Jenner n’avait alors que 18 ans), et dont la quasi totalité du marketing est réalisée via les réseaux sociaux de sa créatrice.
Axios a publié hier un graphique démontrant que les dépenses publicitaires réalisées par les milliardaires américains dépassent de très, très loin celles des autres candidats à la présidence des Etats-Unis. Mais jetez-donc un oeil à la répartition entre les sommes affectées aux pub télévisuelles et à celles en ligne - et voyons comment cela influe sur la campagne au fil du temps.
Amnesty estime que les politiques publicitaires de Facebook, Google et consorts mettent les droits humains en grave danger. L’association appellent les gouvernements à prendre des décisions rapides, pour “remanier [leur] modèle économique fondé sur la surveillance”.
📰 Et à d’autres sujets :
Depuis l’apparition du meme “ok boomer” sur les réseaux, et plus encore depuis sa reprise par les grands médias, je vois passer beaucoup de réflexions intéressantes sur ce dont elle est le symptôme. Ici, une explication du fossé qui sépare notre situation économique à nous, millennials, gen Y ou quelle que soit la case dans laquelle vous voulez me mettre, avec celle de nos aîné·es.
Autre problématique : la plainte du “On ne peut plus rien dire”. Dans un fil plein d’articles intéressants, le chercheur André Gunthert évoque le concept de panique morale, démontre comment ces peurs (celle des affreuses féministes, celle des militant·es antiracistes, ou encore celle des jeunes filles écologistes) s’alimentent et se soutiennent entre elles, et explique qu’elles ne sont finalement que le symptôme d’un fait : les frontières sont en train de bouger. Avec cette conclusion : ceux qui dénoncent le “On ne peut plus rien dire” ne risquent pas la censure, mais plutôt qu’on oublie leurs idées.
Et cette vidéo, très forte. Voilà 42 jours que les manifestations s’enchaînent au Chili, et leur répression violente s’est notamment traduite par des tortures et des violences sexuelles de la part des forces de l’ordre, la disparition de plusieurs femmes, et la mort d’une photojournaliste.
En vrac : l’intelligence artificielle est une escroquerie (profitons-en pour ressortir les 12 mythes de l’intelligence artificielle) - mais cela n’a pas empêché le champion de Go Lee Sedol de mettre un terme à sa carrière ; les décisions prises à l’issue du Grenelle sur les violences conjugales ; pourquoi la réforme des retraites pénalisera plus les femmes que les hommes (à ce vaste sujet, je vous recommande par exemple ce papier) ; l’expression “tribunal médiatique” est un piège, et c’est un historien qui le dit ; le dernier rapport de l’ONU note que les émissions de gaz carbone continuent de croître - et ses conclusions générales sont “lugubres”.
P.S.
Un conseil culture
J’ai regardé après tout le monde The Great Hack, ce documentaire sur l’affaire Cambridge Analytica. J’en retiens une belle démonstration de la façon dont ces plateformes censées nous relier sont transformées en armes de propagande redoutablement efficace. Qu’il s’attarde sur l'élection de Trump, du choix du Brexit, ou du massacre des Rohingyas au Myanmar, le film cherche à montrer les graves conséquences de ce détournement des réseaux sociaux. Avec l’aide de bons personnages - l’activiste David Carroll, la journaliste Carole Cadwalladr, l’ambigüe Brittany Kaiser, ancienne cadre de Cambridge Analytica -, il me semble aussi qu’il explique assez bien l'importance de considérer les droits que nous avons sur nos propres données comme de nouveaux droits humains. Pour finir, c’est monté comme un thriller et bourré de punchlines frisant quelquefois le too much, mais si vous aimez vous moquer des tics cinématographiques américains (ou si vous les aimez tout court), ça ne vous gênera pas le moins du monde. Bref, je recommande.
Vous avez aimé cette édition livrée sur un plateau ?
Si oui, partagez la autour de vous !
À vendredi,
— Mathilde