Hello à tous et à toutes,
Je voudrais revenir sur l’histoire #UberCestOver avec vous. Le hashtag en question a été lancé par Anna Toumazoff, éditrice de la newsletter les Petites Glo. Elle a commencé par raconter l’histoire de Sonia et Noémie, sur son compte Instagram (suivi à l’époque par quelques 30 000 personnes) : ces deux jeunes filles déclarent avoir été agressées par le même chauffeur Uber à Strasbourg, à deux ans d’intervalle.
Suite au poste, des commentaires sont laissés sur le compte Instagram de la société pour signaler le problème, mais ceux-ci sont systématiquement supprimés. Le lendemain, Uber France s’excuse de ce “manque de discernement” mais ne s’exprime pas sur les agressions rapportées.
Fin novembre, le hashtag prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux. Les témoignages d’agressions sexuelles allant quelquefois jusqu’au viol, et ceux d’agressions homophobes se multiplient. À 20 Minutes, Anna Toumazoff déclare avoir reçu 700 témoignages. Anaïs, violée par son chauffeur, témoigne de son côté auprès de Konbini news, à visage découvert.
Le 5 décembre, Uber publie son rapport de sécurité, qui ne présente que des chiffres relatifs au territoire américain. 3 045 agressions sexuelles signalées en 2018, un chiffre en augmentation par rapport à 2017, et probablement sous-estimé (pour des raisons aussi diverses que la peur, la honte, ou l’inconscience de la gravité des faits, beaucoup de victimes ne disent rien). 3,1 millions de trajets sont effectués chaque jour dans le pays, précise l’entreprise.
Néanmoins. La non-gestion des cas d’agressions sexuelles remontés à Uber est un problème qui n’a rien de nouveau. Une Indienne a poursuivi la société en justice en 2017, son avocat accusant Uber de “déni de viol”. Une Américaine a fait de même en avril dernier. Mais rien. Pas d’outil, pas de réponse aux femmes qui signalent des agressions, pas de mesure visible pour écarter les chauffeurs signalés.
Devant le succès du hashtag #UberCestOver, toutefois, les dirigeants de la filiale française de l’entreprise sont convoqués par Marlène Schiappa. La secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes les a entendu hier. Elle a obtenu, entre autres, l’engagement de suspendre les comptes des chauffeurs accusés d’agression et celui de contacter dans les 3 minutes toute victime déposant un signalement.
Tous les sujets qui m’intéressent sont concentrés dans cette histoire : le côté média n’est pas tellement endossé par les acteurs traditionnels, mais plutôt par la maîtrise des réseaux sociaux qu’ont démontré Anna Toumazoff et toutes les personnes qui ont témoigné sous le hashtag #UberCestOver. Ce sont elles qui ont permis de faire émerger le problème. Le côté technologies, c’est ce paradoxe entre la promesse que nous font les plateformes VTC d’une expérience simple, rapide et efficace de commande de véhicule et de trajet, alors qu’elles s’avèrent loin d’être capables d’assurer la sécurité de leurs passager·es. À noter d’ailleurs qu’Uber n’est pas le seul : 19 femmes poursuivent Lyft en justice, l’accusant de n’avoir pas pris les mesures suffisantes pour les protéger.
Pour finir, on trouve ici une vraie problématique d’égalité des sexes : on demande aux jeunes filles, aux femmes, de ne s’habiller ni trop long, ni trop court lorsqu’elles se promènent. On leur dit de faire attention, dans la rue : elles pourraient se faire agresser. On leur dit de faire attention, dans les transports en commun : elles pourraient se faire agresser. Elles savent désormais qu’elles doivent faire attention, dans les taxis, les VTC : elles pourraient se faire agresser. Ne serait-il pas temps de se pencher sur ce problème d’agression ? Sur ce qui pousse principalement des hommes (91% des mis en cause pour violences sexistes en 2016 et 2017 en France, 96% des condamnés) à agresser des femmes ? De se demander d’où vient ce sentiment d’impunité ?
Si vous pensez que si, l’écoute du podcast (cet épisode, celui-ci ou celui-là, par exemple) et/ou la lecture du livre de Victoire Tuaillon (cf cette interview) vous donneront quelques pistes de réflexion ;)
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Traverser la ville (Oulan-Bator, 2018)
💻 En ce moment, sur la reconnaissance faciale, les cyberattaques, et nous, je lis :
Le Conseil et le Parlement européens ont nommé Wojciech Wiewiórowski au poste de Contrôleur européen de la protection des données (CEPD). Ancien CEPD adjoint, il a récemment publié cette tribune, intitulée “Reconnaissance faciale : une solution en quête d’un problème ?”, dans laquelle il cherche à montrer que les usages pour lesquels on déploie ce type de technologies ne valent pas la réduction des droits humains qu’elles impliquent - et ne respectent même pas les garde-fous que l’Union Européenne a voulu installer, via le RGPD ou la Charte des droits fondamentaux.
Vous vous rappelez de ce que je vous racontais sur le croisement reconnaissance faciale - analyse génomique, la semaine dernière ? Ce que je n’avais pas forcément assez souligné (ni saisi), c’est à quel point la question est déjà avancée dans les pays occidentaux.
Belle enquête de Martin Untersinger, dans Le Monde : il y démontre que le piratage de quelques 150 000 mails et documents de En Marche!, publiés à quelques jours de l’élection de 2017, sont le résultat d’ingérence russe. L’enquête ici, le récit du piratage là, et là, le papier de Wired expliquant comme des traces du renseignement militaire russe (GRU) ont été retrouvés derrière d’importantes cyberattaques, un peu partout sur la planète, depuis 2015.
📰 Et à d’autres sujets :
J’aime beaucoup le journal Le Temps, parce que ses équipes ont énormément de bonnes idées. Après leur baromètre de la parité, j’ai récemment découvert la rubrique Hyperlien, où le média discute avec ses lecteur·ices et leur explique ses choix éditoriaux. J’aimerais beaucoup voir un truc similaire du côté des médias français, je suis sûre que ça prendrait.
“8 décembre 2018, le jour où la doctrine du maintien de l’ordre a basculé”. Longue enquête du Monde sur cette journée de manifestation où la logique a plus été de faire peur, d’empêcher purement et simplement de manifester (ce qui est pourtant un droit) que de canaliser. On y lit les manifestant·es, journalistes ou passant·es éborgné·es, les ramassages par camions entiers, et cet aveu qui me tracasse aussi bien pour ces faits-ci que pour les méthodes de surveillance peu à peu appliquées (là par exemple) : « On a saturé les services avec un millier de gardes à vue et on a raté des vrais dossiers. Il y a eu énormément de classements sans suite parce qu’on ne pouvait pas suivre. »
Il fallu de nombreuses années avant qu’il soit présenté comme tel, mais lorsqu’un homme entra à l’École Polytechnique de Montréal pour y tuer 14 femmes et blesser 14 personnes supplémentaires, en 1989, ce fut le premier féminicide de masse ouvertement revendiqué. Le Monde revient sur les faits, les raisons pour lesquelles on occulta les motivations du tueur, et comment le temps permit de mettre les vrais mots sur cet attentat.
En vrac : Finalement, les Etats-Unis abandonnent leur projet de loi sur la reconnaissance faciale pour tous·tes aux aéroports ; pendant ce temps, à San Diego, les programmes de reconnaissance faciale devront être suspendus au premier janvier 2020 ; la National Football League et Amazon Web Services signent un partenariat, avec pour projet d’utiliser le machine learning pour réduire les blessures à la tête dans le foot professionnel ; en Chine, une nouvelle loi oblige a réaliser un scan du visage de chaque nouvel acheteur·se de smartphone ; le Danemark a voté une loi pour s’obliger à atteindre 70% de son niveau d’émissions de gazs à effet de serre de 1990 d’ici 2030 - loi qui l’engage aussi à l’international ; la Finlande compte désormais 5 femmes trentenaires dans son gouvernement, dont l’une, Sanna Marin, 34 ans, est Première ministre ; trois scénarios alternatifs pour les retraites du futur ; et puis si vous voulez savoir qui vit au fond des océans, scrollez-donc ici.
P.S.
Un conseil culture
Encore une recommandation littéraire, pour mes ami·es en panne d’inspiration cadeaux. Ceux du Nord-Ouest, de Zadie Smith, est un roman en forme de portraits, ceux de quatre adultes qui, tous·tes, ont grandi dans une cité londonienne. J’ai d’abord eu un peu de mal à m’y plonger, mais une fois dépassées les quelques pages qui m’embêtaient, c’est devenu tout à fait prenant. Peut-être parce qu’on y parle, de plein de façons différentes, de ce processus compliqué qu’est l’accession à une forme de maturité. Certainement, aussi, parce que Smith a un vrai talent pour peindre avec réalisme les paradoxes d’une société urbaine disparate - et lâcher, quand il le faut, quelques piques bien senties contre l’irrationalité du monde ou la bêtise d’un de ses personnages.
Mention spéciale à tous les passages sur Keisha Blake, écrits d'une façon merveilleuse et jamais vue autre part : par petits paragraphes titrés qui se suivent chronologiquement. Comme autant de cartes postales de la vie de cette femme, permettant de suivre son éclosion en accéléré.
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Si oui, partagez la autour de vous !
À vendredi,
— Mathilde