Hello, hello,
J’ai à peine mentionné le Forum économique mondial la semaine dernière. J’avais tellement de moyens différent de l’évoquer que j’hésitais un peu - via la question de la responsabilité écologique, par exemple (existe-t-il une réalité alternative dans lequel les plus grosses fortunes économiques prennent des décisions pour la préservation du climat plutôt que de se tirer la bourre à coup de jets privés ?), ou les accords commerciaux que Trump veut signer. Et puis j’ai vu que Sundar Pichai y avait pris la parole pour évoquer la santé, qui renferme, selon lui, le plus gros potentiel en termes d’usage d’intelligence artificielle.
Je me suis dit que c’était le moment de se pencher sur ce que Google fabrique dans le domaine. Car depuis quelques mois, les activités du géant technologique surgissent régulièrement dans l’actualité. En novembre, c’était avec la révélation de l’existence du projet Nightingale, un partenariat conclu avec la chaîne d’hôpitaux catholiques Ascension. Il permet à Google de traiter les données de 50 millions de patients dans 20 états américains.
En janvier, le Wall Street Journal a poussé l’enquête, pour démontre plusieurs choses. Que Google a signé des contrats avec certains des plus gros centres de soin des Etats-Unis, d’abord. Et puis que ces deals permettent à l’entreprise d’accéder, classer et analyser les dossiers médicaux de dizaines de milliers de personnes. Dans certains cas, ce sont des données aussi précises et précieuses que les numéros de sécurité sociale, noms, prénoms, dates de naissance et médicaments réguliers que les ingénieur·es expert·es des données voient passer.
Le but de la manoeuvre ? Construire un outil de recherche spécialisé, comme le Google que l’on connaît, mais spécifiquement dédié aux médecins et aux infirmièr·es. Entraîner des algorithmes, aussi, puisqu’ils font des miracles en termes de reconnaissance de certaines maladies. À Davos, Sundar Pichai soulignait que les données restaient la propriété des hôpitaux où elles étaient recueillies, et comment « ses » algos pouvaient aider à résoudre certaines querelles médicales. Google axe en fait toute sa communication sur le greater good, le bien de tous, le bien commun. Et nie sans cesse vouloir lier cette activité au pan publicitaire de son business model.
Sauf qu’évidemment, ces activités soulèvent les suspicions des juristes, du gouvernement américain, qui enquête actuellement sur le partenariat Ascension - Google, et d’un peut tout le monde autour. Certaines entreprises ont par exemple été refroidies par le manque de transparence de Google : elles estiment que la société ne fournit pas suffisamment d’informations sur ce qu’elle compte faire des données collectées. Impossible, même, de bien saisir quel serait le business model de son activité de santé. Quant au grand public, il rechigne de plus en plus à partager ses données de santé.
Malgré tout, Google n’est pas le seul à travailler sur le sujet. D’une part, ses concurrents fournisseurs de cloud (Amazon et Microsoft en tête) équipent aussi toutes sortes d’établissements de santé. D’autre part, une plateforme comme Facebook s’imagine déjà en aide-soignant indispensable - du moins a-t-elle lancé un outil supplémentaire aux Etats-Unis, qui permet, si l’utilisateur rentre son genre et son âge, de signaler quand un tour chez le médecin pourrait servir, voire d’en présenter plusieurs dans la zone géographique. Amazon a créé une joint-venture avec JP Morgan et Berkschire Hathaway pour construire un nouveau type d’assurance à destination de ses employé·es. Quant à Microsoft, elle vient de lance “AI for Health”.
Or l’IA fait des progrès super utiles - elle reconnaît très bien certaines cellules cancéreuses, par exemple, permettant aux médecins de diagnostiquer et de traiter plus tôt ces maladies. Mais même ce sujet est loin d’être certifié : Wired puis The Verge ont récemment démontré que mal utilisée, l’IA pouvait quelquefois empirer les erreurs médicales. Par ailleurs, cela ne doit pas empêcher de penser les problématiques de gestion des données personnelles et de recueil du consentement du client/patient final. Car à Davos, rapporte Bloomberg, c’était un peu le discours des dirigeants d’entreprise tech : ne vous inquiétez pas trop pour nous (ne nous régulez pas trop, et ne discutons pas trop de nos erreurs en matière de privacy), penchez vous plutôt sur des façons de cadrer l’intelligence artificielle. Or quand Google a racheté Fitbit pour 2,1 milliards de dollars, en novembre dernier, c’était certainement pour se servir des données de ses utilisateurs à des fins encore flous, quelque part dans son business santé.
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💻 En ce moment, sur l’IA, les plateformes et les réseaux , je lis :
Semaine chargée pour la 5G : en pleine guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine - en particulier contre Huawei -, l’Allemagne détiendrait des preuves que l’équipementier a collaboré avec les renseignements chinois. Le Royaume-Uni, lui, a décidé d’autoriser ses opérateurs télécoms à utiliser les équipements de Huawei sous certaines conditions. Quant à l’Europe, elle a publié une “boîte à outils” pour se protéger des risques du développement de la 5G. (Reuters, La Tribune, Le Monde)
“Simplement” bannir la reconnaissance faciale reviendrait à manque la majeure partie du problème, celui d’une surveillance de masse et de l’usage qui en fait. Quant à adopter ladite reconnaissance faciale alors que le taux d’erreur est encore très élevé - et que les inquiétudes relatives à la préservation de la vie privée sont au plus haut -, ça n’est pas forcément la meilleure manière de faire avancer le débat. C’est pourtant ce qu’a décidé de faire la police londonienne. (New-York Times, Time)
Votre long format du week-end : une longue histoire très fouillée de la reconnaissance faciale. (Wired)
A quelque chose malheur est bon : le Brexit permet au Royaume-Uni de ne pas adopter la directive européenne sur le droit d’auteurs, dont l’article 13 a particulièrement été décrié. (BBC)
Dans le Midwest américain, les tracteurs de 40 ans d’âge sont super recherchés : ils coûtent une fraction du prix d’un neuf, et s’ils tombent en panne, il n’y a pas besoin de se servir d’un ordinateur pour les réparer. (Star Tribune)
Pendant qu’on s’applique à détruire les océans, des scientifiques fabriquent des fruits de mer comestibles dans leurs laboratoires. (MotherJones)
Internet, une bombe écologique à retardement. (GQ)
📰 Et à d’autres sujets :
Championne de patinage artistique en couple, Sarah Abitbol témoigne sur les viols qu’elle a subi et l’omerta qui règne dans le monde du patinage. (L’Obs)
Le journalisme d’investigation est en danger, et deux cas sont emblématiques du phénomène : la poursuite de Glenn Greenwald pour “cybercrime” au Brésil, et celle d’Assange aux Etats-Unis. Dans les deux cas, c’est la relation entre le journaliste et ses sources qui est visée par les gouvernements et décrite comme criminelle. Une attaque directe envers la liberté d’informer, par le chemin détourné des lois anti-hacking. (New-York Times, Washington Post)
Passion séries documentaires, avec ces quatre épisodes de la série “Faites sauter les banques”, d’abord diffusés en 2017. On y entend les effets de la crise de 2008, qui se font sentir jusque dans les finances exsangues des collectivités et des hôpitaux ; comment l’arrivée de l’automatisation chamboule le métier des conseillers bancaires ; et comment les fauteurs de trouble d’il y a une dizaine année ont réussi à éviter de rendre des comptes. (France Culture)
Le PIB est dépassé, il faut s’intéresser aux inégalités. (Wired)
Dans sa newsletter de vendredi dernier, Titiou Lecoq a écrit une super analyse de la cancel culture (ou culture de l’annulation). Elle y interroge notamment le lien entre cette méthode, lorsqu’elle est utilisée en ligne, et le (cyber)harcèlement de la personne dont on veut nier l’opinion, ainsi que l’utilité politique d’un tel outil. (Slate)
P.S.
Un conseil culture
Ma collègue et camarade au sein de l’association Prenons la Une Marine Périn vient de sortir son premier documentaire : en une heure dix, elle décortique les cyber-violences conjugales. Super sujet, super traitement, riche en infos et plein de femmes fortes - attention, leur récit est quelquefois éprouvant -, ce gros boulot est disponible sur Youtube. Vous en apprendrez aussi bien sur les manières dont les outils numériques peuvent être utilisés à des fins de harcèlement poussé que sur la manière dont ils permettent de s’en sortir. Et vous aurez droit à un récap’ sur le cycle des violences conjugales, qu’il est utile de connaître pour savoir ensuite le reconnaître. Courez regarder ce docu !
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À vendredi,
— Mathilde