Hello there,
Comment allez-vous en cette quarante-douzième semaine de confinement ? De mon côté, je vais beaucoup mieux depuis que je peux barrer les jours sur mon calendrier.
En revanche, j’ai l’impression que la crise provoquée par le coronavirus complique l’analyse du rôle joué par les Big Tech dans la société. Du moins fait-elle émerger deux tendances plus ou moins opposées. La première, qui me paraît assez naturelle (c’est à dire qu’elle ne m’a pas surprise), est la suivante :
le rôle des Big Tech s’étend, avec une ambition quasi étatique en certains domaines.
Face à la crise en cours, c’est encore plus flagrant. La pandémie prend de l’ampleur ? Google, Apple, Facebook se mobilisent pour utiliser les données qu’ils ont à dispo afin de lutter contre la maladie. Google un système pour aider l’état de New-York à gérer l’explosion de dossiers de chômeurs. Alibaba et Xiaomi fournissent des masques à l’Europe.
Autant d’actions très utiles, mais qui posent questions sur l’effritement de certains pouvoirs étatiques. Et qui succède, aussi, à plusieurs années d’inquiétudes sur la situation quasi monopolistique de ces sociétés ; sur leur capacité à écraser la concurrence en (barrez la mention inutile) la copiant / la rachetant / la concurrençant plus ou moins honnêtement ; sur les difficultés de les réguler. Aussi l’inquiétude ambiante est-elle de se retrouver avec des entreprises aux pouvoirs encore accrus au sortir de la crise, aidés par la nouvelle place qu’elles auront pris auprès des gouvernements. Sur le sujet, je vous recommande notamment la lecture de cette tribune de Loïc Hecht.
Mais il y a une autre vision du bazar ambiant, plus strictement économique, qui se fraie un chemin jusqu’à mes lectures :
aussi fortes soient ces entreprises, aussi imposantes soient-elles à un instant T, rien ne suggère qu’elles parviendront à relever le défi du long terme.
Dans ce domaine, le cas de la visio-conférence donne un très bon exemple. Microsoft a longtemps mené le jeu du numérique, et avec lui Skype, racheté en 2011. Mais alors que la moitié de la planète passe en télétravail, c’est un autre service, Zoom, quasi inconnu il y a quelques semaines, qui explose. À ce sujet, les chiffres de trafic américain fournis par Nokia sont parlants :
L’usage de Zoom a augmenté de 700% sur les réseaux sélectionnés entre le 1er février et la fin mars. En face, l’un des leaders d’il y a (seulement) dix ans comme l’était Skype est réduit à très peu de choses. Or, en filigrane, il y a cette critique : sans temps long, aucune concurrence possible avec les Etats, car ceux-ci ont pour eux l’avantage d’avoir des durées de vie sans commune mesure avec celle des entreprises.
Dans une interview au New-York Times, la journaliste et spécialiste de ces grandes entreprises Kara Swisher s’inquiète de ce que les régulateurs ne se concentrent plus “que” sur les questions urgentes de coronavirus, et rechignent à passer les lois qui auraient permis de mieux cadrer les Big Tech. Cela dit, elle notait elle-même dans un éditorial que face à une telle crise, ces mêmes sociétés ne pourraient plus que très difficilement couper à l’une des règles qu’elles tentent toute d’éviter : celle de la taxation. Car face à la crise de longue durée qui se dessine, les États auront besoin de fonds.
Comment conclure ? Je ne sais pas trop, si ce n’est en enfonçant une porte ouverte : impossible, visiblement, de vraiment prédire quelle place prendront tous ces acteurs dans l’économie post Covid-19.
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💻 all things tech :
Je ne me suis pas penchée très précisément sur la possibilité d’utiliser le bluetooth pour mettre en place des systèmes de suivi des malades. Casey Newton le fait assez bien, expliquant notamment que la protection de la vie privée n’est pas le premier problème de cette méthode - le besoin de télécharger une application et le manque de fiabilité de ce signal sont des barrières plus élevées. (The Interface)
S’il y a un grand défaut humain qui met des bâtons dans les roues de la lutte contre les fausses informations, c’est bien l’orgueil. Mettez-vous en situation : vous avez posté une information sur Twitter ou Facebook, celle-ci a été likée et partagée des dizaines de fois, et voilà que vous réalisez qu’elle est fausse. Souvent, pour garder tous ces likes et retweet, vous vous contenterez de poster la correction en-dessous, en commentaire, sans enlever l’erreur initiale. Très peu de monde verra cette correction. Et la fake news continuera son voyage à travers les profils de star de trois minutes. Facebook a déjà tenté de lutter contre ce problème en ajoutant, pendant un temps, des macarons “ceci est sujet à débat” sur les infos douteuses. Sauf que cela a poussé les gens à les partager encore plus (!). Dans le cas du coronavirus, le réseau social a donc adopté une autre stratégie : si vous avez interagi avec une fausse info, vous verrez bientôt apparaître un bandeau sur votre newsfeed, avec un message qui jouera plutôt sur votre corde sensible. Quelque chose comme “aidez vos proches à lutter contre les fausses informations”, qui vous redirigera vers la page de vérifications de l’OMS. Il faudra voir si cette méthode altruiste fonctionne mieux. (The Interface)
Et puis, que cela ne dédouane pas les journalistes de faire un vrai bon gros travail sur la hiérarchisation de leurs infos, et la manière dont ils évoquent les fausses infos, cf ce thread:
CloudFlare est une grosse boîte de cybersécurité, du genre à travailler avec Alibaba, Tencent, Google, Amazon... Wired a publié un portrait de l’un de ses co-fondateurs, Lee Holloway, brillant jusqu’à ce qu’une maladie neuro-dégénérative n’atteigne ses capacités. Je vous le recommande un peu pour votre culture internet, un peu parce que ça plonge dans des questions psychologiques sans fond (qu’est-ce qui fait que l’on est soi ?), un peu parce que c’est très bien écrit. (Wired)
Avec le confinement, le nombre de “comptes fishas”, sur lesquelles des photos de nus de jeunes filles de 15 ou 16 ans sont publiées aux yeux de tous, a explosé. (Le Monde)
La lecture du 2020 Tech Trends Report du Future Today Institute vaut le détour. Pour la décennie à venir, les équipes de ce think tank de prospective fondé par la chercheuse Amy Webb y soulignent, entre autre, le fait que nous sommes déjà tou·tes soumis·es à notation et que ces scores conditionnent les services qui nous sont rendus. Elles prévoient que cette tendance ira en augmentant, tandis que nos foyers développeront leur propre empreinte numérique. Elles soulignent, aussi, l’intérêt des Big Tech pour l’agriculture - quand on parle de missions de services publics… - ainsi que le développement de la biologie et de la médecine de synthèse. (Future Today Institute)
📰 Sur des sujets moins numériques, cette semaine, je vous propose :
Depuis le début de cette pandémie j’ai l’impression qu’il y a un bug dans la matrice, et que chaque région du monde vit la même chose, à deux ou trois semaines d’écart, sans pouvoir apprendre de son voisin. La preuve avec cet article sur les avions américains qui volent à vide, ou cet autre qui évoque les new-yorkais qui ont fui leur ville à la veille du confinement. (The Guardian, the Washington Post)
La fréquence de la pédocriminalité (5 à 6% des enfants touchés) est un fait qui m’a explosé à la figure, le jour où je me suis formée au recueil de la parole de victimes d’agressions sexistes ou sexuelles. 81% des violences sexuelles commencent avant 18 ans, et elles sont bien souvent le berceau des violences de genre. Dans un Podcast à soi, Charlotte Bienaimé aborde ce sujet difficile, compliqué par le tabou qui l’entoure. (Arte radio)
Christophe est mort et François Armanet en a fait un très doux portrait (L’Obs)
Dans la dernière édition de sa newsletter, Titiou Lecoq écrit sur sa passion des vidéos de fitness à la Jane Fonda, et leur lien avec les vidéos de yoga aujourd’hui (et la dépréciation fréquente de ce type de sport, parce que vus comme “trucs de meufs”). Comme nous sommes beaucoup à être bloqué·es chez nous, c’est le moment parfait pour jeter un oeil à ces vidéos. Perso, je voue un culte (et je suis loin d’être seule) à Adriene, si sympathique et facile à suivre, précurseure en la matière et heureuse détentrice de 7 millions (!) d’abonné·es sur Youtube. (Slate, Yoga with Adriene, Vice)
P.S.
Un conseil culture
Des BDs, un maximum de BDs ! Pour nous aider à passer les quelques semaines de confinement qu’il reste, différents éditeurs filent libre accès à certaines de leurs bande-dessinées. C’est le cas de Dargaud, de Dupuis, mais aussi du blog du Petit Nicolas, sur lequel vous trouverez quelques histoires accessibles gratuitement, ou de Les Autres Gens, scénarisée par Thomas Cadène et dessinée par 120 auteur·rices différent·es. Chez Flammarion, vous pouvez aussi lire le tome 5 (les Ethiopiques) des aventures de Corto Maltese. Et puis bien sûr il y a les blogs BD, celui d’Emma, celui de Mirion Malle et plein d’autres. Bonne lecture !
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À très vite,
— Mathilde