Bonjours à vous,
En cette joyeuse période de festivités et d’activité souvent retombée, je vous souhaite d’être ou de bientôt partir en vacances. Pour celles et ceux qui restent, en revanche, je propose quelques lectures, en espérant qu’elles vous permettent d’occuper vos longues soirée d’hiver ou vos journées de travail au rythme ralenti. Changeons donc de format, et choisissez ce qui vous intéresse dans la liste suivante :
#1 Etat des lieux
Fondé il y a deux ans par les chercheuses Kate Crawford et Meredith Whittaker, l’institut AI Now publie son rapport 2019. Au fil de la soixantaine de pages de ce document fouillé, on lit d’abord l’attention croissante portée à la fabrication d’IA non dangereuses, aussi bien dans les entreprises, dans la société civile que chez les législateurs - via des régulations sur la reconnaissance biométrique ou la protection des données, par exemple. Et puis on se penche sur les nouvelles inquiétudes, qui sont apparues ou se sont renforcées au cours de l’année : les biais, toujours (cf la Cyberlettre #8), mais aussi la privatisation croissante d’infrastructures publiques (surveillance, smart cities), l’impact de l’IA sur la crise climatique, ou encore son poids croissant dans le domaine de la santé. (AI Now)
#2 Houleuse histoire de la responsabilité algorithmique
Bien plus court, mais tout aussi intéressant : la réflexion du professeur de droit Frank Pasquale sur une “deuxième vague” de la responsabilité algorithmique. La première, déclare-t-il, aurait dévoilé les biais sexistes ou racistes des algorithmes, mis en lumière leurs “dark patterns”, démontré leur impact quelquefois dangereux. Elle aurait poussé à trouver les moyens d’améliorer ces systèmes, de mieux les comprendre pour en améliorer le fonctionnement et mettre fin à leurs errements. Mais une seconde vague survient, qui consisterait selon l’auteur à se poser la question bien plus abruptement : faut-il, oui ou non, construire tel ou tel système algorithmique ? Frank Pasquale prend plusieurs exemples, dont celui de la reconnaissance faciale : les risques qu’elle implique ne sont-ils pas simplement trop grands pour que l’on continue de la développer ? (Law and Political Economy)
#3 De la démocratie en terre internet
J’avais pour projet de vous écrire un édito, une prochaine semaine, sur le risque que fait peser Facebook sur la démocratie. Sauf que Benoît Raphaël a déjà fait tout le travail dans un numéro de début décembre de son Flint Times. Vous y apprendrez que la cause de la prolifération des fausses informations n’est pas celle qu’on croit ; y lirez que le lieu commun “les gens risquent de se faire avoir par les fake news” n’est rien moins qu’une nouvelle forme de snobisme ou de mépris de classe ; et y (re)découvrirez l’histoire de cet unique jeune homme, planqué au fin fond de la Roumanie, qui, à lui seul, a créé pas très loin de la moitié des fake news qui inondaient les réseaux américains en 2016. (Flint Times)
#4 IoT espionne
Terrible histoire que sortait Vice à la mi-décembre : il existe un podcast, NulledCast, dans lequel il est possible d’écouter… la vie des gens qui possèdent chez eux des assistants intelligents Amazon Ring ou Google Nest. L’ironie de l’affaire tient dans le fait que les foyers s’équipent précisément parce que les géants technologiques leur vendent une meilleure sécurité. Mais dans ce cas précis, l’expérience a mal tourné : des pirates hackent les caméras de leurs victimes, puis, souvent, se mettent à les harceler et/ou les insulter pendant leur stream. (Vice, CNN)
#5 Téléphones mouchards
Dans une veine plus commune, nos smartphones sont aussi de vrais mouchards, et le New-York Times signe une grosse enquête sur le sujet. En quelques images, le journal américain illustre le business de la gélocalisation que se fait à l’insu des utilisateur·rices. Numerama fait de son côté un parallèle avec l’affaire Teemo, en France, entreprise dont le kit publicitaire permettait de pister les usager·es sans les en informer. (New-York Times, Numerama)
#6 Du recul des libertés
Les quelques histoires précédentes se sont liées, dans ma tête, à une interview de François Sureau sur la liberté. Il y soulève beaucoup d’idées intéressantes, notamment à propos de cette propension que nous avons désormais à préférer la sécurité au détriment de la liberté. Plusieurs points sont dignes d’attention, mais un, néanmoins, m’embête plus que les autres : celui de la loi sur la haine en ligne. Car je crois qu’on reste dans une sacrée forme de non-droit dans certaines zones de l’internet. Cela garde beaucoup d’avantages, mais créer quelques solutions de repli, de protection aux cyberharcelé·es, ça n’est pas nécessairement plus mal. Peut-être est-ce mon penchant féministe qui parle, cela dit (les femmes sont bien plus touchées par ce phénomène que les hommes). (France Inter)
#7 Et de l’accentuation des rapports de pouvoir
Il faut aussi lire l’interview de Félix Tréguer, cofondateurs de l’association la Quadrature du Net et auteur du récent ouvrage l’Utopie déchue. Une contre-histoire d’Internet, XVe-XXIe siècle. On y lit les passages de tendances technocritiques à l’enthousiasme des utopistes qui ont voulu, à partir de la fin des années 80, (re)faire société en ligne. On inscrit les mouvements actuels dans un temps long, qui aurait démarré avec l’invention de l’imprimerie. Et on y étudie le refus croissant de l’usage des nouvelles technologies à des fins de contrôle social. (Libération)
#8 Combat de grève
Trop souvent, lorsqu’une grève éclate, on entend certain·es Français·es et pas mal d’étranger·es se demander “mais que veut ce peuple qui a déjà les 35h, 5 semaines de congés payés, une couverture santé tout à fait décente et une véritable retraite ?” Alors oui, les grèves sont embêtantes. C’est même en faisant dérailler le cours de la vie quotidienne qu’elles prennent leur force. Mais la réalité, démontre Clémence Michallon, c’est que la question est posée à l’envers : si ces acquis sociaux ont été obtenus, c’est grâce à la mobilisation de la société civile, pas en dépit d’elle. Depuis les Etats-Unis, la journaliste signe une très belle défense de la culture française de la grève. (The Independent)
#9 Des histoires de réseaux
Twitter, Instagram et les autres ont donné lieu à de nouveaux types de créations littéraires et d’histoires captivantes. Souvenez-vous par exemple de Motel Detective, la série de “stories” que vous pouvez toujours lire, voir, écouter sur le compte Instagram de la journaliste Elise Costa. Cet automne, c’est le compte Twitter Eiffel1812 qui nous entraînait dans une enquête fantasque. Et France Inter nous en a gentiment listé quantité d’autres. (Motel Detective, Eiffel1812, France Inter)
#10 Le polar qu’il faut voir
Pour les amateur·rices de séries qui auraient la flemme de parler nouvelles technos pendant les vacances, laissez-moi vous recommander Unbelievable. D’une part, c’est un bel exemple de ce qu’on peut espérer dans une sphère culturelle un peu diversifiée : elle parle d’un sujet de société - la prise en charge des victimes de violences sexuelles - qu’on a souvent du mal à traiter, le fait avec justesse, et apporte un point de vue réaliste. D’autre part, c’est un bon thriller. Une série de haute facture, avec la juste dose de suspense, de frictions et de réussites célébrées par le duo de détectives qu'interprètent Merrit Wever et Toni Colette. Un vraie bonne série criminelle, adaptée d’une histoire vraie, et disponible sur Netflix. (Le Parisien, enquête de départ sur ProPublica)
#11 Vestiges imaginaires de nos usages numériques
Si vous êtes à Paris, allez faire un tour à l’exposition “Jusqu’ici tout va bien ? Archéologies d’un monde numérique”, au Centquatre. Entre un robot qui chante en karaoké et une gigantesque maquette électronique de ville, tous les moyens y sont bons pour imaginer quelles traces notre civilisation numérique pourrait laisser. Et, du même coup, interroger les évolutions qu’elle fait traverser au genre humain. Si vous y êtes déjà allé·es, n’hésitez pas à y retourner : le 14 décembre, huit nouvelles oeuvres ont remplacé certaines de celles exposées depuis octobre. (Le 104)
#12 Et un extrait du Manuel d’éducation Punk à la magie de Noël
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Très joyeuses fêtes, et à vendredi,
— Mathilde