Hello,
Pas tellement de techno-internet-données aujourd’hui, plutôt un message de bonne année : santé, bonheur et beaux projets !
Un regard vers l’arrière, d’abord. Je suis tombée sur ce post de Wait but Why dans lequel l’auteur s’amuse à quantifier à quelle distance nous sommes des grands événements qui ont forgé note enfance / jeunesse / vie entière, et comment ceux-ci se sont éloignés avec le temps.
C’a attiré mon attention car j’ai discuté avec une lectrice de 17 ans, pendant les vacances, et réalisé combien mes cours d’Histoire des années 2000 avaient fait long feu. Si mes classes avaient un côté joyeux et plein d’espoir - on nous apprenait les miracles de l’Union Européenne, l’intégration des 27, les politiques d’accueil -, ma cadette en a une toute autre version. Pour elle, les anciens alliés sont infichus de s’accorder, on n’en finit plus de fermer nos frontières, et l’ancien “exemple” américain devient sujet d’inquiétude et/ou de dérision. Nous apprenions les joies de la mondialisation (ok, là, je force peut-être un peu le trait), mais c’est à peine si nous évoquions les questions climatiques. La Chine n’avait pas encore l’importance qu’elle a pris dans les dernières années. Quant aux luttes pour les droits des minorités (et je dois mettre les femmes dedans, même si nous sommes 52% en France), nous les abordions comme relevant du passé, alors que les dernières années ont démontré l’étendue du chemin qu’il reste à parcourir.
Les choses ont bien évolué côté science et techno aussi : il y a dix ans, l’iPhone n’avait que trois ans, le bitcoin un an, le top départ de la course à l’intelligence artificielle n’avait pas été donné, l’informatique quantique n’était qu’un obscur sujet de scientifique ultra-calé - bon, c’est peut-être encore un peu le cas -, et le boson de Higgs toujours pas identifié. Facebook n’avait pas encore revêtu sa dimension planétaire (2,7 milliards d’utilisateurs tous service confondus aujourd’hui) et WeChat n’existait même pas (1,1 milliards d’utilisateurs aujourd’hui). Quant aux problématiques récurrentes actuellement, gestion de la privacy et des données en tête, elles ne nous occupaient quasiment pas.
Je ne vous cache pas que je suis en réflexion permanente sur ce que doit être cette newsletter. Ce que je sais, à observer tous ces profonds changements récents, c’est que les évolutions de notre monde et de notre usage des technologie ne sont pas prêtes de se terminer. Les printemps arabes, #Metoo, le nouveau pouvoir des plateformes ou la maltraitance de la minorité ouïghoure en Chine, rien de cela n’aurait existé dans ces proportions, ces modalités là, sans le foisonnement actuel de créations technologiques. Et c’est bien cela qui m’intéresse.
Pour celles et ceux viennent de s’inscrire à la Cyberlettre, sachez-le d’emblée : parmi mes obsessions, on compte les plateformes, la surveillance, un peu de logiciel libre et pas mal d’intelligence artificielle. Le tout est souvent passé, donc, au prisme d’un intérêt pour la géopolitique, les droits humains et certaines formes d’activisme. En fait, la sélection d’articles de cette newsletter de début de décennie représente assez bien les sujets que je compte y traiter. Le but est d’en faire un espace pour vous donner quelques clés sur les chamboulements technologiques en cours, et puis, pour l’instant du moins, y ajouter un pas de côté plus culturel.
Cela dit, et c’est mon grand défi, je voudrais autant que possible réussir à créer une discussion avec vous. C’est toujours avec grand plaisir que je lis vos retours, avis, demandes, suggestions. Y a-t-il des sujets que vous voyez poindre et que vous jugeriez nécessaire de faire connaître ? Un de mes points de vue avec lequel vous seriez en désaccord ? Une explication qu’il vous semble utile de préciser ? Ecrivez-moi, n’hésitez pas !
D’ici là, je vous souhaite une bien belle entrée dans ces nouvelles années vingt, que je voudrais aussi rugissantes que celles du siècle dernier siècle - même si le contexte a bien évolué.
📨 Un avis, une question, une idée ? Un sujet que vous voudriez me voir expliquer ?
📷 Une image
Avant le départ (Mongolie, 2018)
💻 En ce moment, je lis :
Long article sur cette super association qu’est Framasoft et l’évolution de ses méthodes d’actions au fil du temps. Le tout, toujours, pour se passer des services fournis par les géants de l’internet en leur préférant les logiciels libres. (Le Monde)
Les personnes les plus dangereuses en ligne dans les 10 dernières années : Trump, Poutine, Xi Jinping, l’ISIS, Zuckerberg, le groupe de hackers Lazarus ou encore le venture capitalist Peter Thiel. (Wired)
Amazon menace de licencier des employé·es parce qu’ils et elles se sont exprimé·es sur le climat. Pendant ce temps, un ancien cadre de Google affirme avoir été poussé dehors pour avoir voulu lancer un programme d’engagement de l’entreprise pour les droits humains. (The Guardian, The Washington Post)
Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer, mais Trump a dit aux membres du Congrès qu’il leur fallait le suivre sur Twitter pour espérer obtenir les informations nécessaires sur une possible guerre avec l’Iran. (The Verge)
L’ancienne employée de Cambridge Analytica Britanny Kaiser est en train de publier des dizaines de milliers de documents censés démontrer une manipulation des votants à échelle mondiale. C’est intéressant parce que le scandale Cambridge Analytica en lui-même reste énorme (de quel droit réutilisait-elle les données des utilisateurs Facebook ?). Cela dit, j’entends aussi de plus en plus régulièrement des avis sceptiques sur l’impact des activités de ce cabinet sur les élections organisées à travers le monde. Pour le dire très très grossièrement, et comme le déclare d’ailleurs un cadre de Facebook, peut-être que si un Trump a réussi à se faire élire, ce n’est pas tant grâce à Cambridge Anlytica qu’au bon usage des outils publicitaires disponibles sur la plateforme. (The Guardian, Le Monde, Andrew Bosworth)
On les connaît peu, mais ils exercent une des formes les plus abouties de contrôle de nos activités en ligne : ce sont les data brokers. Cette longue enquête est un extrait du livre d’Olivier Tesquet (qui a été lié à la Ligue du Lol) paru hier, et elle vaut la lecture. (Korii)
Plus ou moins lié, et parce qu’il s’agit aussi d’une jolie expérience journalistique : le Temps lance un projet en collaboration avec ses lecteur·ices. Ils et elles réclameront les données les concernant auprès de plateformes numériques, d’opérateurs telecoms ou de leur assurance maladie. Le but : voir si et ou ça bloque, quel type de données sont récupérées, comment faire pour maîtriser le phénomène, etc. À suivre. (Le Temps)
L’informatique quantique devrait être construite dans l’espace. (Technology Review)
📰 Et à d’autres sujets :
Dans les grandes écoles de commerce, la mysoginie et l’homophobie la plus crasse ont largement court… et tout le monde s’en fout. Grosse enquête qui m’a rappelé les heures les plus sombres de ma scolarité, et même montré qu’il existait pire. On y lit les immondes journaux qui s’amusent à classer les filles selon les critères les plus dégradants possibles, les trajets en bus/weekend d’intégration/soirées qui se transforment en arènes du harcèlement, les réputations faites sur rien (en 2020, un homme est toujours mieux vu qu’une femme s’il a enchaîné les conquêtes) qui durent une scolarité entière… On y lit, aussi, l’abandon total de la part du corps enseignant, et les victimes, condamné·es à s’adapter (= se fondre dans cette culture) ou fuir. Comment s’étonner, si l’on apprend tous·tes à se comporter ainsi ou à supporter ces ignominies, qu’il ait fallu tant de temps avant que n’éclatent des #metoo à la pelle ? (Mediapart)
Ce serait intéressant de se pencher aussi, un jour, sur une certaine culture ayant cours au sein des lycées qui préparent leurs élèves à l’entrée en classes préparatoires, pour viser ensuite ces mêmes grandes écoles. Ou encore sur le cas des écoles d’ingénieur·es - cf ce thread.Une interview de la sociologue Gisèle Sapiro au sujet de l’affaire Matzneff. Aujourd’hui, explique-t-elle notamment, on attaque les artistes pour protéger les plus faibles, quand autrefois on le faisait pour protéger l’ordre établi. (20 Minutes)
Que se passe-t-il en Iran ? Un état des lieux de la situation politique. (Slate)
P.S.
Un conseil culture
Je viens de terminer Le Pouvoir, roman de Naomi Alderman reçu à Noël (merci à toi lectrice !). La quatrième de couverture aurait de quoi faire fuir même les moins anti-féministes, tant le pitch paraît cliché : d’un jour à l’autre, les femmes à travers le monde découvrent qu’elles possèdent le “pouvoir”, et les hommes deviennent, mécaniquement, “sexe faible”. Vous serez ravis d’apprendre que ça n’a pas empêché Barack Obama de l’apprécier.
Car comme le titre le laisse aussi présager, on y découvre en filigrane une critique intelligente du pouvoir. Au fil des pages, on observe la mutation s’opérer doucement, entre la jubilation de se libérer d’un carcan millénaire, la mutation d’un ordre établi, et la chute progressive vers des abus… au simple motif que posséder le “pouvoir” rend les excès possibles. Super à lire en tant que roman (un plaisir de suivre des personnages aussi divers qu’une fille de mafieux, une orpheline éclairée ou un journaliste téméraire d’un bout à l’autre du globe). Intéressante lecture, aussi, alors que commence le procès Weinstein, et que débute une année durant laquelle, je l’espère, nous avancerons vers plus d’égalité (tiens d’ailleurs, journalistes, interviewez des expertEs !).
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À vendredi,
— Mathilde