Bonjour à vous,
Comme promis, aujourd’hui, c’est techno et religion.
Cette dernière est en perte de vitesse, à peu près partout. L’Espagne, par exemple, traditionnellement attachée à la religion catholique, compte depuis cet été plus d’athé·e·s et de non-croyant·e·s que de catholiques pratiquant·e·s. En France aussi, les “sans-religion” sont les plus nombreux·ses, tandis qu’en Europe, plus largement, les jeunes s’éloignent en toujours plus grand nombre du culte.
Or la technologie peut être perçue comme un moyen d’attirer le fidèle, de l’intriguer, de le ré-intéresser au culte. Le raisonnement ? D’une part, les nouveaux outils plaisent. Livres religieux numériques, notifications pour signifier l’heure de prière aux fidèles musulmans - et boussoles connectées pour leur indiquer la Mecque -, chatbots confesseurs, robots prêtres…
Les opportunités sont multiples, de croiser de la technologie dans l’exercice de la foi. Elle peut même rendre cet exercice plus simple au quotidien.
D’autre part, un robot ne meurt jamais, et peut-être actualisé au gré des innovations. C’est en tout cas ce qu’explique le chef d’un temple bouddhiste à Vox. Il travaille en effet avec un « prêtre » aux membres de métal et au visage façonné à l’image de la divinité de la miséricorde. En Inde aussi, on trouve un robot utilisé pour réaliser un rituel sacré, tandis qu’en Allemagne, l’Eglise protestante a créé un robot préprogrammé pour donner des bénédictions.
Est-ce à dire que les chef·fe·s des différents cultes sont aussi menacé·e·s de se faire remplacer que les caissièr·e·s et les camionneur·ses ?
Probablement pas, explique la Dr Sigler, une chercheuse en science des religions, à CNBC. En substance : il leur manque (et leur manquera probablement toujours) un supplément d’âme, la force de croire, et celle de guider dans la foi. Il leur manque une âme tout court, en somme.
S’ils n’ont donc pas nécessairement pour vocation d’être entièrement automatisés, les cultes, aussi divers soient-ils, ont en revanche pour fonction d’accompagner les évolutions de la société. Aussi leur demande-t-on (comme aux comités d’éthique, aux gouvernements, à toutes les entités sociales dont on veut bien suivre les avis) de nous aider à considérer algorithmes et nouvelles technologies au sens large.
L’Église catholique, par exemple, s’est exprimée sur le sujet au début de l’année. Les évêques de la Commission des épiscopats de l’Union Européenne, notamment, ont publié une réflexion sur « la robotisation et la vie ». Quant au Vatican, il a organisé tout un colloque sur le thème « Roboéthique : humains, machines et santé ». La conclusion de ces différents travaux donne une même direction : il faut réfléchir aux manières de « garder le contrôle et conserver notre liberté » face à ces nouveaux outils, car ces éléments font partie de la supériorité intrinsèque des humains sur les robots.
Mais aucune réunion ne permettra de trouver des façons simples de régler tous les questionnements éthiques que posent les innovations en une seule fois. Aussi ce culte comme d’autre se posent-ils en acteur d’un vaste débat public, avec, peut-être, un avantage : celui d’être habitués à réfléchir sur un temps long. 2000 ans d’histoire chrétienne ou 3000 ans d’histoire judaïque, c’est autrement plus long que le rythme politique.
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📷 Une image
(Jérusalem, 2014 ou 2015)
📰 P.S.
En ce moment, sur internet, je lis :
Comment lutter contre l’addiction au smartphone ? Google a une solution : le téléphone en papier. Ce n’est pas une blague. Jolie ironie, toutefois, que de voir l’un des géants du numérique réinventer… l’agenda doublé d’un carnet d’adresses.
Ce weekend, j'ai filé à Berlin, pour le plaisir. Et voilà que je tombe en plein trentième anniversaire de la chute du mur. Joie, Histoire, liberté et pont entre les nations. Je suis certes trop jeune pour l'avoir vécu en direct, mais les ondes de choc de cet événement ont certainement participé à mon attachement à l'Europe et à l'ouverture, ainsi qu’à ma souffrance, aujourd'hui, face aux accents réactionnaires que prend l'actualité. Écoutez donc cet Instant M, sur la façon dont la chute du mur a modifié l’exercice du JT (drôle de voir comme les médias ont encore évolué, en 30 ans). Et cet Affaires Sensibles, aussi, qui retrace les événements historiques menant au 9 novembre 1989.
Connaissez-vous le concept de fenêtre d’Overton ? Clément Viktorovitch l’explique dans cette chronique, démontrant du même coup la stratégie coordonnée de l’extrême-droite. Celle-ci consiste à répandre la parole outrancière d’éditorialistes dans tous les médias. Et permet, par comparaison, de faire paraître les propos des chef·fe·s politiques du parti Rassemblement National comme relativement acceptables.
Grosse semaine pour la lutte pour les droits des femmes. C’a commencé avec Adèle Haenel, qui a parlé pour la première fois à Mediapart du harcèlement sexuel qu’elle a subi alors qu’elle était mineure de la part du réalisateur Christophe Ruggia. La longue enquête est ici, d’autres explications, face à l’écran, par là. Ce qu’y dit l’actrice est très fort : elle évoque l’importance pour elle de parler, au nom de celles et ceux qui ne le peuvent pas ; du besoin pour tout le monde de se regarder en face - ainsi que de celui de questionner la construction de la virilité ; ou encore du progrès que consiste l’ouverture de la parole pour les hommes, les femmes, tous les pans de la société. On y parle aussi du rôle non négligeable des témoins, pour aider à faire émerger le discours des victimes.
L’autre actu, c’est que depuis le 5 novembre à 16h47, les femmes travaillent bénévolement en France. Le calcul, symbolique, est basé sur les statistiques d’Eurostat : en moyenne, le salaire brut des femmes est toujours inférieur de 15,4% à celui des hommes en 2019. Que faire pour résoudre le problème ? Publier des grilles de salaire transparentes, mettre en place l’index de l’égalité professionnelle dans les entreprises françaises, promouvoir un congé paternité égal à celui des femmes (ça évite les biais à l’embauche et ça donne liberté à chacun·e de passer du temps en famille sans limiter ses ambitions), négocier son salaire si vous êtes une femme, ou encore, si vous êtes un homme et que vous réalisez en discutant qu’une collègue est moins payée que vous à poste égal, proposer de la soutenir dans sa démarche de demande d’augmentation.
En vrac : 11000 scientifiques appellent à agir maintenant pour le climat, faute de quoi les humains subiront des “souffrances indescriptibles” ; au ministère de la Culture, un RH pervers a sévi pendant 10 ans, et tout le monde le savait. Les victimes viennent seulement d’être écoutées ; le harceleur d’une australienne avait installé une app sur la Land Rover de cette dernière, lui permettant de faire rouler, d’arrêter, et de suivre à distance tous les déplacement du véhicule ; parmi les nombreuses tentatives d’explication à la triste coupe de cheveux de Mark Zuckerberg, on trouve sa fascination pour César ; des chercheurs ont mis au point une IA capable de faire la (subtile) différence entre une satire et des fake news ; le récit de la mannequin Loulou Roberts a réemergé sur les réseaux sociaux, étonnant de ressemblances avec celui d’Adèle Haenel ; et l’expression “ok boomer” expliquée aux (baby)-boomers (cette histoire me fait beaucoup rire).
Et pour finir
Un conseil culture
Vendredi dernier, j’ai découvert Nilüfer Yanya. Elle passait en live au Pitchfork, avec sa trompettiste, son batteur et son claviériste. Et quel plaisir que ce concert !
La compositrice a 24 ans, un album, Miss Universe, sorti cette année, et un talent indéniable pour les stop and start au rythme desquels silences et riffs ne font que s’amplifier. Nilüfer Yanya est londonienne, mais a aussi des racines irlandaises, barbadiennes et turques. On retrouve largement de ce joyeux mélange dans ses morceaux : de la soul par ci, un peu de jazz par là, un paysage stanbouliote dans le clip de Paradise… Ecoutez aussi Golden Cage, ou Keep on Calling. Un plaisir vous dis-je.
Cette édition très pieuse vous a-t-elle plu ?
Si oui, recommandez la autour de vous !
À vendredi,
— Mathilde