Salut à toutes et à tous !
Parlons manifestations. Ou mobilisations.
Mais mobilisations au sein d’entreprises à (très) forte responsabilités.
Il y a trois jours, j’ai reçu un lien vers cet article qui diffuse des enregistrements de Mark Zuckerberg répondant aux inquiétudes de ses équipes. L’espèce de désinvolture avec laquelle il balaie le sujet des atroces conditions de travail (lire ici, ici et là) de certains modérateurs m’a fait espérer que des employé·e·s de Facebook protestent. Idéalisme, quand tu nous tiens.
Ça ne serait pas si improbable, cela dit, car depuis quelques années, les salarié·e·s des BigTech expriment ouvertement certains désaccords avec leurs employeurs. C’a commencé a faire du bruit en 2018, lorsque celles et ceux de Google ont protesté contre la participation de l’entreprise au projet Maven. Il s’agissait de vendre à l’armée américaine des outils d’intelligence artificielle destinés à des frappes de drone. Peu de temps après, c’est le projet Dragonfly, un moteur de recherche adapté à la Chine (donc censuré), qui a été rejeté. Google a fini par abandonner le projet.
Côté culture interne, pareil. 20 000 employé·e·s ont marché pour protester contre les grasses compensations accordées à des dirigeants de Google (décidément) accusés de harcèlement sexuel. C’est la réception a été différente : des dizaines de personnes déclarent avoir subi des représailles après avoir signalé des cas de harcèlement. La lutte pour que les femmes puissent parler est loin d’être terminée.
Autre mode d’action : les stocks options, lorsqu’elle représente une part des rémunérations. Quelques personnes ont ainsi utilisé leurs parts dans Amazon pour peser sur la stratégie globale de l’entreprise. C’a commencé en décembre dernier, avec une pétition demandant au comité de direction la façon dont il comptait répondre au changement climatique et réduire la dépendance du géant du commerce aux énergies fossiles.
Et depuis, ça n’a plus cessé. Le mouvement a pris de l’ampleur, 5000 personnes ont signé une lettre demandant un plan clair de transition vers les énergies renouvelables en avril, puis plusieurs milliers ont manifesté devant leurs propres bureaux, encore en septembre. C’a fini par payer : Jeff Bezos a annoncé le 19 septembre qu’Amazon ferait en sorte d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris avec 10 ans d’avance, visant la neutralité carbone pour 2040. Premier investissement : 100 000 camions de livraisons électriques.
Un dernier exemple pour la route ? Chez Microsoft, en 2018, 300 000 employés demandait la fin des contrats avec L’Immigration and Customs Enforcement (ICE), la douane américaine. Cette dernière cristallise les énervements : chez l’éditeur de logiciel Chef, Seth Vargo, un employé d’alors, a purement et simplement supprimé tout le code qu’il avait écrit lui-même lorsqu’il a appris que l’autorité qui avait séparé des enfants en bas âge de leurs parents comptait parmi les clients de son entreprise. Depuis, Chef a renoncé à vendre de nouveaux logiciels à l’ICE.
Tout ça prouve qu’il est grand temps d’aborder les questions d’éthiques, aussi diverses soient-elle. Que l’on parle culture interne des entreprises, usages des nouvelles technologie - et en particulier de l’intelligence artificielle - ou alignement entre les valeurs affichées et les compromis acceptés pour satisfaire tel ou tel client, les équipes forcent désormais certains dialogues. Tout ça prouve, aussi, qu’il est possible de faire bouger certaines choses de l’intérieur.
Je ne parviens toutefois pas encore totalement à résoudre une interrogation : pourquoi a-t-il fallu que ce type de mouvement commence spécifiquement au sein des BigTech ? Certes la culture de débats qui y a longtemps été promue a dû aider, mais est-ce bien la seule raison ? Leur taille, aussi, est devenue critique, ce qui rend urgent la discussion. Mais pourquoi, en pleine période d’inquiétude pour la cause environnementale par exemple, voit-on si peu de mouvement du côté d’entreprises certes plus traditionnelles, mais dédiées à l’énergie ?
Si vous avez des idées, je prends.
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📰 P.S.
En ce moment, sur internet, je lis
Une critique de Sans la liberté de François Sureau qui me donne envie de lire plus longuement son livre du même nom. Extrait choisi : “François Sureau ne nie pas que la liberté a un coût : « Celui d’être blessé, révolté, atteint par les opinions contraires. » Mais les citoyens devraient défendre la contradiction, « plus sûr aiguillon pour bâtir, siècle après siècle, une société meilleure ».”
Je suis tombée sur le lien précédent après avoir lu ce thread Twitter, dans lequel le rédacteur en chef de Next Inpact regrettait que quasiment aucun média n’ait évoqué la “collecte de masse” permise par l’article 57 du Projet de Loi de Finances 2020. Nos administrations ne comptent pas se gêner pour surveiller les activités des Français·e·s - de tout le monde, pas seulement de celles et ceux soupçonné·e·s de fraude - sur les réseaux, comme sur les plateformes de vente (💔 leboncoin).
La CNIL a rendu son avis sur l’article en question le 30 septembre, et elle n’est pas ravie : elle juge le procédé trop intrusif et doute carrément de son efficacité.
Le 3 octobre, on apprenait que l’agence en charge du contrôle des frontières Frontex allait elle aussi ratisser les réseaux sociaux. Les révélations de Snowden n’ont visiblement pas été comprises de la manière dont celui-ci l’espérait.
Dans un super entretien pour la MIT Technology Review, Amy Webb, prospectiviste et professeurs à NYU, revient sur les raisons pour lesquelles l’intelligence artificielle est une menace pour la démocratie. Elle souligne que Google, Microsoft, Apple, Facebook, IBM et Amazon, ainsi que Tencent, Baidu et Alibaba concentrent un maximum de pouvoir et de connaissances dans le domaine à… eux neufs. Une tendance qui se conjugue aux difficultés des démocraties de l’Ouest à créer des cadres de long terme, et au poids croissant de la Chine, dont la vision de la vie privée diverge totalement de la notre. Néanmoins, dit-elle, il est encore possible de réagir, tant au niveau personnel (en s’informant, ce que j’espère vous aider à faire) qu’au niveau général.
L’américaine de 37 ans Sarah Thomas a réalisé un exploit sportif en traversant la Manche à 4 reprises d’affilée. 54h d’efforts, un peu plus de 210 kilomètres, un record du monde à peine un an après s’être remise d’un cancer du sein… et quasiment personne n’en a parlé. Il est temps de réparer ça en vous envoyant par ici ou par là. Vous verrez que parmi les raisons avancées au silence, il y a le genre (et donc le sexisme dans le sport) qui entraîne, aussi, l’absence de sponsors - ces derniers, lorsqu’ils sont présents, participent à attirer les regards.
J’aurais voulu vous partager cet édito de Luc Bronner titré “Qu’as-tu fait, papa, alors que tu savais ?”, mais l’accès en est payant (les premières lignes vous donneront tout de même le ton). À la place, je vous propose donc cette analyse du comment et du pourquoi Greta Thunberg a réussi à capter notre attention sur le climat.
📷 Une image
Et pour finir
Un conseil culture
Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma. Fantastique film d’époque dans lequel on suit la flamme de l’art (jolie scène sur la musique qui raconte des histoires, très beau jeu d’émotions au son des Quatre saisons), des sentiments, de la lumière non électrique qui baigne chacun des plans.
La jeune fille en feu n’a en réalité que faire de l’époque dans laquelle elle est sise. Cette dernière ne sert qu’à planter l’histoire : difficile, plus tard qu’au 18e siècle, de prétexter que l’on ait à peindre une jeune femme pour pouvoir ensuite la marier. Mais Sciamma se sert de l’époque pour relever le défi d’un film costumé (c’est vrai que, de la Naissance des pieuvres à Bande de filles, on état de plein pieds dans le monde actuel). Et pour nous servir un film qui ne cesse de lier et délier une célébration des arts et une autre de sentiments, ou de l’intimité.
Quant à Mélanie Merlant (c’est pas elle sur la photo, déso), elle y est sublime.
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À très vite,
— Mathilde