Youtube et la recherche scientifique
Où les algo accélèrent les diagnostics et le gymnaste le plus médaillé est une gymnaste
Lectrices, lecteurs, ravie de vous voir ici !
J’admets avoir été un brin inquiétante dans le dernier numéro, vous m’en voyez navrée. Discutons aujourd’hui, si vous le voulez bien, d’un sujet dans lequel les technos peuvent faire de bien.
Mais ne nous précipitons pas : avant les machines, il y a l’humain. Or hommes et femmes sont quelquefois sujet à l’autisme, trouble mental assez complexe à diagnostiquer car il peut prendre de multiples formes. Pour tenter de saisir la variété des symptômes existants, on parle de « trouble du spectre autistique ». Et malgré cela, il existe une inégalité entre les hommes, dont l’expression des troubles autistiques est plutôt bien connue, et les femmes : pendant longtemps oubliées des recherches scientifiques, leurs symptômes spécifiques ont été bien moins étudiés.
Bref. L’autisme peut affecter les relations sociales, la communication, les modes de comportement et ceux de pensée. Techniquement, il est possible de détecter qu’un·e enfant est autiste dès sa deuxième année, et aux Etats-Unis, l’âge moyen du diagnostic tourne autour de quatre ans. Quant aux femmes, on sait qu’elles sont diagnostiquées anormalement tard, mais difficile de quantifier à quel point. Or plus tôt on constate les symptômes, meilleure pourra être la prise en charge de la personne. Les chercheurs et chercheuses espèrent donc depuis quelques années déjà que les algorithmes les aident à raccourcir le temps de diagnostic.
Entraînés correctement, des algorithmes de deep learning deviendraient par exemple plus efficaces que les humain·e·s pour repérer de subtiles variations de comportement indicatrices d’une forme d’autisme. Le problème, c’est que pour entraîner ce type d’outil, il y a besoin de vastes bases de données. Les médecins travaillent donc à réunir du matériel d’étude, navigant entre la nécessaire confidentialité des dossiers médicaux et l’aide des familles et associations de malades.
Au début du mois de septembre, the Atlantic relayait l’étude comportementale sur les enfants autistes de Bappaditya Mandal et ses collègues de la Keele University, en Angleterre. Ces derniers ont entraîné des algorithmes capables d’étudier les mouvements d’enfants autistes, puis de les classer : soit typiques, soit atypiques. Le but : rendre les ordinateurs plus rapides dans l’estimation des symptômes de ces enfants, afin d’éviter d’avoir recours à des équipements de laboratoires, ou à des capteurs invasifs. Les données utilisées : des vidéos Youtube. C’est bien là que l’étude vient bouleverser les choses, puisqu’elle court-circuite la question de la constitution des bases de données d’études.
Pratique. Mais comme d’habitude, il y a matière à débat.
D’une part, les associations et les parents qui ont publié leurs vidéos sur Youtube n’ont pas eu la possibilité de décider si ce matériel pouvait être utilisé par la recherche scientifique ou non. Bappaditya Mandal précise que les visages des personnes filmées n’ont pas été étudiés ni sauvegardés, car seuls les mouvements des corps les intéressait, mais tout de même. D’autre part, les données disponibles en ligne n’ont rien de précisément neutre (les populations représentées sont-elles aussi diverses que celles présentes dans la société, par exemple ?). Et aucun cadre n’a encore été fixé sur l’autorisation de ces données à des fins de recherches.
Quant aux algorithmes, bien sûr, ils n’ont rien de magique. Les débats font rage, dans la communauté médicale, et les experts de troubles du spectre autistique sont encore loin de s’accorder sur le crédit que l’on peut donner à ces nouveaux outils technologiques. S’ils parviennent à débusquer les cas les plus prononcés, les algorithmes ont encore beaucoup de mal à pointer les personnes qui se situent aux extrémités du spectre - soit les cas, précisément, pour lesquels il y aurait le plus besoin d’aide dans le diagnostic.
Cela dit, s’ils permettent à quelques enfants d’éviter de passer des heures dans des laboratoires, je crois qu’il y a tout de même un intérêt. L’important restant de ne pas présenter ce type d’outils comme les remplaçants de praticiens, mais bien comme des aides à leur pratique de la médecine.
Par ailleurs, sachez que les algorithmes peuvent aussi aider les personnes atteintes de troubles autistiques à communiquer plus facilement avec le monde extérieur. Des robots « traduisent » ainsi déjà quelques émotions humaines, que les jeunes autistes ont souvent du mal à reconnaître.
Sachez aussi que les entreprises de la tech courtisent les personnes autistes (quoiqu’en France, nous ayons du retard), car leurs capacités de concentration et un goût souvent plus marqué pour des domaines abstraits peuvent faire des merveilles dans le monde du code.
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Héros estivaux
📰 P.S.
En ce moment, sur internet, je lis
La Chine est désormais un marché suffisamment important, et suffisamment lié au notre pour influer sur les produits des grandes entreprises. C’est ainsi que Blizzard, société renommée éditrice de jeux vidéos, a banni un joueur de e-sport après que celui-ci ait crié en ligne son soutien aux manifestations en cours à Hong Kong. La NBA a hésité sur la marche à suivre après un événement similaire parmi ses joueurs (10% de ses revenus publicitaires viennent de Chine). Apple, qui réalise 17% de son chiffre d’affaires en Chine, a dépublié une application permettant aux manifestants hong-kongais de suivre les déplacements de la police. Wired étudie comment la Chine peut désormais utiliser le marché - et notamment celui des BigTech américaines - comme une arme, ou au moins un outil de soft power.
L’édition de la semaine dernière était un tantinet angoissante, mais voyez-vous, avec ou sans nouvelles technos, la surveillance prend déjà une ampleur nauséabonde en France. Ainsi de celle des musulmans, visiblement voulue par des institutions comme des groupements politiques. Le jour même où un élu du Rassemblement National humiliait une femme voilée, citoyenne qui avait bénévolement accompagné la classe de son fils dans une instance de la République, on apprenait qu’une fiche de “remontée des signaux faibles” était distribuée à l’Université de Cergy.



Les excuses exprimées ensuite ont paru bien légères, à côté de l’ambiance que véhicule un tel document. Je tente de réduire ma consommation de viande - et donc de porc - depuis quelques temps, et n’ai plus répondu à certains groupes de discussion depuis quelques temps. Dois-je pour autant être considérée comme “radicalisée” (quoique ce terme puisse signifier, d’ailleurs) ? Je vous mets aussi un lien vers la pétition adressée à Emmanuel Macron pour lutter contre la haine des musulmans (le texte était initialement paru dans Le Monde).
Le Monde, encore lui, a publié hier une vidéo reconstituant les faits qui ont abouti à la blessure à la tête d’un Gilet Jaune à Bordeaux le 12 janvier dernier. Il s’agit bien d’un tir de LBD 40, réalisé largement au-dessus de la hauteur réglementaire. Belle enquête, et bel exemple de ce à quoi un mélange de travail de terrain et de reconstitutions numériques peuvent aboutir.
Elise Costa a un talent incomparable pour les récits de procès - et pour retracer la vie des victimes comme des accusé·e·s. Depuis fin 2017, ses articles sont édités en série sur Slate. Loin des clichés, cette journaliste donne toujours une vraie ampleur aux vies des victimes, comme à celles des coupables. On a ainsi pu décortiquer la chaîne d’action qui a mené à l’horrible meurtre d’Eva Bourseau, ou celles qui ont abouti à l’assassinat de Laurent Baca par sa compagne Edith Scaravetti. Nouvelle affaire : celle de Charles Sievers, assassin de l’amant de sa compagne Paolina. Si vous avez un penchant pour le fait-divers et/ou les récits criminels, ou simplement pour la jolie prose, c’est à lire !
Ma star Simone Biles a explosé tous les scores de médailles avec celles qu’elle a remportées aux Mondiaux de gymnastique, à Stuttgart.
Il y a peu, je ne connaissais quasiment rien à ce sport. Et puis Simone Biles a débarqué, et exécuté cet été une figure jamais réalisée, un double salto avec triple vrille. Avec ses 19 médailles d’or, 3 d’argent et 3 de bronze, elle est devenue dimanche la gymnaste la plus décorée au monde. Et je ne me lasse pas de regarder les vidéos de ses prestations. Cette femme ne touche pas le sol, elle vole.
Qu’il m’est difficile, de m’en tenir au nombre de cinq liens que je m’étais fixé à l’origine ! Je m’autorise une rapide exception pour vous signaler qu’en réaction au projet Alicem, Cedric O souhaite créer une instance d’évaluation des projets de reconnaissance faciale ; qu’un long reportage de Libération revient sur le désarroi des profs, que le Guardian a établi une liste des 20 entreprises responsables du tiers des émissions carbone mondiales, que cette courte interview de Cynthia Fleury, “L’éthique n’est pas un supplément d’âme”, est chouette, et je vous offre cette histoire de femmes pirates, The Revenge of Anne and Mary, parfaite pour une lecture du week-end.
Et pour finir
Un conseil culture
Mon conseil culture de la semaine sera musical : écoutez Nils Frahm, qui mêle piano et musique électronique avec un talent indéniable. Il est berlinois, il a été repéré avec son EP The Bells et son album Wintermusik, tous les deux édité par Erased Tapes en 2009.
Et moi, je vous recommande particulièrement l’album Spaces (et le morceau Says ❤️), l’EP qu’il a fait en duo avec Òlafur Arnalds, Life Story Love and Glory, et le morceau Them, dans la bande-original du film Victoria. Autant vous prévenir, certains vous donneront envie de danser, mais plusieurs de ces morceaux sont plutôt faits pour accompagner les longues soirées d’hiver. En particulier Life Story, dans lequel on entend craquer les bûches d’un feu de bois.
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À très vite,
— Mathilde