Hello, hello,
Comment allez-vous aujourd’hui ?
De mon côté j’ai le sentiment croissant que la période actuelle plonge les grandes entreprises technologiques dans un paradoxe. En poussant au restez-chez-vous, la crise crée un avantage énorme pour les sociétés capables de nous aider à garder le lien à distance, ou à réaliser séances de shopping et autres visites de musées depuis nos salons. Pourtant, certaines sont frappées si violemment par ladite crise qu’on peut légitimement se demander si elles subsisteront une fois notre rythme habituel retrouvé. Cela soulève au moins deux sujets :
L’ampleur des licenciements que certains se retrouvent à réaliser, d’abord, est énorme :
Bien sûr, les sociétés les plus représentées dans ce tweet sont celles qui se sont ingéniées à transformer les industries du tourisme, des transports, de la culture, toutes durement touchées par la crise. Peut-être qu’en fait, l’époque démontre enfin que la tech n’a rien d’une industrie à part, mais qu’elle inonde toutes les autres, et chaque pan de la société avec. Cela expliquerait que ces entreprises numériques souffrent de la même manière que le reste de l’économie mondiale lorsque un pangolin vient la chambouler. Avec ce raisonnement, mon paradoxe se résoudrait assez facilement : les Big Tech qui survivront sont celles exerçant dans des secteurs porteurs, celles qui risquent la disparition, ou la mutation la plus profonde (lisez cet article sur l’état d’Airbnb), sont les sociétés aux activités les plus touchées par l’arrêt des échanges, des voyages, des sorties.
Sauf que ces licenciements en masse soulèvent aussi la question des conditions de travail et du statut des travailleur·ses au sein des entreprises numériques. Ces problématiques remontent à avant le COVID-19, mais me semblent exacerbées par le contexte.
En Californie, Uber et Lyft sont visées par des poursuites en justice pour avoir classifiés des conducteur·ices comme indépendant·es plutôt que comme employé·es, par exemple. Un moyen, selon le procureur général de l’état américain, de laisser les contribuables payer pour les soins, le chômage et autres couvertures de ces salarié·es plutôt que d’en prendre la charge. Et donc un vrai problème quand 20,5 millions d’emplois sont détruits en un mois aux États-Unis.
Or cette accusation résonne avec les alertes lancées contre les conditions de travail chez d’autres Big Tech. Chez Facebook, on peut évoquer les difficultés psychologiques que rencontrent les modératrices - mais que Mark Zuckerberg voudrait voir revenir au plus vite au bureau. Côté Amazon, la représentante démocrate Pramila Jayapal s’est inquiètée du contexte de travail au sein de la plateforme dans un long article du New-York Times. Le lendemain de sa publication, l’ingénieur et vice-président d’AWS Tim Bray démissionnait : il accuse l’entreprise de licencier les “lanceurs d’alerte” qui signalent des problèmes d’organisation face au COVID-19 pour “créer un climat de terreur”.
Même si cela ne l’a pas empêché d’engranger de plutôt bons résultats en ce début d’année, le déni d’Amazon - l’entreprise préfère, en substance, déclarer être victime d’une vendetta dans les médias - vient s’ajouter à d’autres problématiques de gestion des lanceuses d’alertes (je vous en parlais là). Amazon a renvoyé certaines personnes qui militaient pour que l’entreprise participe à la protection du climat. Encore une fois, ce n’est pas le seul acteur à avoir agi de cette manière : Google a par exemple poussé dehors celles et ceux qui demandaient la fin du projet Maven ou soulignaient les problèmes de diversité à l’embauche.
Bref. Revenons au paradoxe de ces entreprises du numérique : elles peuvent profiter de la situation actuelle pour développer leurs offres, mais aussi en ressortir sérieusement fragilisées. Nous savions que certains hôtes Airbnb créaient de vrais hôtels fantômes, mais ceux-ci se révèlent désormais menaçants pour le modèle de la plateforme elle-même. Nous savions que les conditions de travail dans certains entrepôts étaient dysfonctionnelles. Mais c’est un virus qui a mis en branle certains processus judiciaires. En fait, plutôt qu’un grand égalisateur, je crois que je vois le coronavirus comme un grand révélateur. En plongeant tout le monde dans l’urgence, il exacerbe et rend impossible à ignorer des problématiques qui parvenaient auparavant à rester relativement diffuses.
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💻 all things tech :
En Inde, l’app de contact tracing Aarogya Setu laisse fuiter les données des utilisateurs, offrant la géolocalisation des personnes infectées au regard du gouvernement, mais aussi de n’importe quel hacker un peu malin. (Wired, medium du chercheur indépendant Baptiste Robert)
Vu que j’ai pas mal parlé d’applications de tracing ces dernières semaines, c’est probablement le moment de faire un peu de promotion pour mes collègues journalistes chez mind Health. Avec le soutien de notre lab data journalisme, elles ont créé une super carte des initiatives européennes. (mind Health)
Tiens d’ailleurs, Uber travaille à un outil de reconnaissance faciale pour s’assurer que ses conducteur·ices portent bien leurs masques. Un peu comme la RATP, station Châtelet. (CNN, Le Parisien)
Le confinement nous fera-t-il basculer dans le métaverse ? Chouette chronique de la journaliste Lucie Ronfaut. (Libération)
La télé-réalité aussi passe à la visio-conférence, et aux États-Unis, ç’a donné lieu à un “Zoom Bachelorette”. (Li Jin’s Newsletter)
J’ai l’impression d’être visée plus agressivement par certaines pubs Instagram depuis quelques semaines (honte à moi, j’ai du cliquer dessus dans un moment d’ennui). J’ai vérifié, celle qui veut me vendre un t-shirt de bobo à la production soit-disant écolo n’est que le fruit du travail d’un drop-shipper, un de ces vendeurs qui ne passera commande à son fournisseur que si j’achète en ligne. Wired signe un long format sur le monde merveilleux (non) de ces ces arnaqueurs d’un genre particulier (vous pouvez aussi lire l’enquête du Monde sur le sujet). (Wired, Le Monde)
Tout le monde est plus ou moins en manque de contact et d’affection donc c’est le moment de parler du compte Twitter qui répertorie tous les jeux vidéos dans lesquels il est possible de caresser des chiens - voire de faire des câlins aux autres personnages. (Input)
📰 Sur des sujets moins numériques, cette semaine, je vous propose :
Dans un long récit, l’écrivain Sylvain Tesson décrit la formidable machinerie de la Pitié-Salpêtrière, et la manière dont ses “invisibles” lui ont permis de tenir le choc du coronavirus. (Le Monde)
En plus de leur patientèle, les médecins doivent gérer tout un flux de théories complotistes sur le coronavirus et ça commence à leur peser. (NBC)
Et si les effets de la pandémie se retrouvaient jusque dans l’architecture ? (Slate)
Je me suis plantée la semaine dernière, le documentaire Delphine (Seyrig) et Carole (Roussopoulos), les insoumuses reste accessible, mais sur la plateforme de l’INA. (Madelen)
P.S.
Un conseil culture
Ca commence quelquefois par un like, deux likes, puis des allers-retours sur un profil. C’est parfois accentué par les recommandations des algorithmes. Mais à quoi ressemble vraiment l’amour, à l’ère d’Instagram ? Et la jalousie, quelle place prend-elle ? Après avoir publié, début 2019, L’amour sous algorithmes, la journaliste Judith Duportail passe au podcast. Dans Qui est miss Paddle ?, elle part d’une réflexion sur l’impact des réseaux sociaux sur nos vies amoureuses pour finalement interroger sa propre relation. Une série de six épisodes courts et rythmés, qui s’écoutent facilement d’une traite.
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À très vite,
— Mathilde