Hello à toutes et à tous,
J’avais un sujet froid, comme on dit dans le jargon, à vous proposer sur les nouvelles technos et la religion. Et puis j’ai réalisé que le 1er novembre, soit le jour où vous me lisez, un premier pan de la réforme de l’assurance chômage entrait en vigueur. Il me semble que cette réforme passe totalement à côté d’(au moins) un enjeu important : la mutation profonde que les algorithmes vont provoquer dans tous les secteurs économiques. Et le besoin, donc, d’accompagner les travailleurs et travailleuses en transition, de même que celles et ceux touché·e·s par le chômage.
Mais laissez-moi vous raconter : en 2013, les chercheurs Carl Frey et Michael Osborne (Oxford) publient une étude dans laquelle ils estiment que 47% des emplois américains vont être automatisés dans les vingt prochaines années. Vent de panique. L’OCDE planche alors sur sa propre estimation. Elle change de logiciel, et s’intéresse aux tâches susceptibles d’être robotisées. Résultat : “seulement” 9% des emplois lui semblent sérieusement menacés. PwC, McKinsey, beaucoup d’instituts d’étude mettent leurs grains de sel. Selon les derniers chiffres de l’OCDE, si l’on suit un scénario d’adoption rapide des technos (peu freiné par les lois, les décisions d’entreprises, les ralentissements divers), alors 30% des tâches pourraient être automatisées d’ici 2030 dans le monde. Et 14% des travailleurs seraient contraints de changer de métier.
Par ailleurs, aucun des calculs ne prennent vraiment en compte le fait qu’au-delà de robotiser certaines fonctions, les nouvelles technologies poussent à repenser de fond en comble différents secteurs d’activités : Amazon ouvre des magasins sans personnel humain ? Pourquoi d’autres spécialisées dans la vente au détail ne suivraient-elles pas l’exemple ? Des “robo-advisor” donnent des conseils et gèrent automatiquement des portefeuilles ? Où vont passer les conseillers bancaires ?
Alors non, personne ne s’entend sur le nombre de gens qui perdront leur job à cause de la démocratisation des outils d’intelligence artificielle. En revanche, tout le monde s’accorde sur une chose : les algorithmes vont permettre une automatisation de toujours plus de tâches, ce qui aboutira à la disparition d’un nombre croissant de postes.
Bien sûr, certaines entreprises réussiront à se transformer pour s’adapter aux nouveaux modèles, et donc à sauvegarder tout ou partie des emplois qu’elles pourvoient actuellement. Cela dit, la transformation numériques est extrêmement compliquée à mettre en place, y compris dans les grands groupes. Au début de la semaine, Guillaume Pépy détaillait justement dans ZDNet les difficultés qu’il y a à faire concorder culture industrielle et culture numérique.
En somme, même si elle crée quelques nouveaux emplois, l’automatisation permise par l’usage croissant de l’intelligence artificielle poussera forcément quantité de gens hors de leurs postes. Même en admettant qu’ils et elles parviennent à rebondir, se forment puis récupèrent un nouveau poste dans une entreprise technologique, un filet de sécurité serait bienvenu pour amortir cette transition. Plus largement, il pourrait être utile, et même logique que l’Etat Providence que la France s’est longtemps targuée d’être prépare la période où le nombre d’emplois ira décroissant.
Malheureusement, la réforme de l’assurance-chômage qui entre en vigueur aujourd’hui aurait plutôt tendance à agrandir les trous du filet existant. Je vous donne quelques détails supplémentaires un peu plus bas.
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📷 Une image
Travail manuel (Pérou, 2015)
📰 P.S.
En ce moment, sur internet, je lis :
La réforme du chômage dont je vous parlais au début de ce mail équivaut à un tremblement de terre, pourtant on l’a à peine évoquée ces derniers mois. En début de semaine, cela dit, Mediapart a signé une série de simulations assez affolantes. Des allocations divisées par 2 voire 4 du jour au lendemain ; l’impossibilité de cumuler petits boulots et allocations ; des inégalités entre celles et ceux qui auront travaillé 6 mois d’affilé et les autres, qui auront travaillé 4 mois puis encore 2 un peu plus tard (vis ma vie de journaliste pigiste, mais aussi de plein d’autres professions exercées en indépendant·e·s)… La première partie du programme entre en application aujourd’hui, et le reste au printemps. La CFDT a des mots durs pour le décrire : « On va passer d’un système d’indemnisation chômage à un système d’accroissement de la pauvreté ». Sur le terrain, les agent·e·s de Pôle Emploi en sont déjà à évoquer le recrutement de vigiles pour gérer les débordements. Quant aux femmes, les plus concernées par les emplois précaires, elles seront en première ligne de ce bouleversement.
Pour celles et ceux qui ne pourraient accéder à l’article, ce fil, celui-là, et cet article du Parisien décortiquent l’impact des mesures.Le gouvernement a ouvert une consultation sur le revenu universel d’activité, ouverte jusqu’au 20 novembre, et je ne l’ai découverte qu’hier. (Plus d’info là)
Il y a une suite à l’histoire de la semaine dernière : chez Facebook, des employé·e·s expriment leur désaccord avec la non-modération des publicités politiques. “La liberté d’expression et la publicité ne sont pas la même chose” (ça sonne mieux en anglais), lit-on ainsi dans leur lettre ouverte. Cette dernière est pleine d’idées intéressantes. On y lit par exemple que le micro-ciblage fonctionne tellement bien qu’il empêche le “public scrutiny”, la vigilance publique. En raccourci : nous ne sommes plus confronté·e·s qu’aux politiques les plus proches de nos idées, alors que tout un·e chacun·e devrait pouvoir vérifier ce que chaque candidat·e raconte en période de campagne.
L’autre grosse nouvelle, tombée avant-hier soir, c’est que Twitter renonce à toute publicité politique partout dans le monde. Les raisons qu’avancent son CEO Jack Dorsey répondent d’ailleurs assez précisément aux points évoqués par les salarié·e·s de Facebook. À noter tout de même que le problème principal sur Twitter est probablement celui des armées de faux comptes, plutôt que celui de la publicité politique stricto sensu.
Vous aurez remarqué que je teste une forme d’écriture inclusive. C’a embêté au moins un de mes lecteurs, qui m’a précisé que ça lui “piquait les yeux”. La première fois que je suis tombée sur un texte écrit de cette manière, les miens aussi ont picoté. Mais j’ai finalement trouvé que l’on s’habitue assez vite, et c’est de ne plus voir la mention du féminin dans des textes écrits selon la grammaire traditionnelle qui m’irrite quelquefois la cornée. Wendy Delorme écrit très bien dans cette tribune l’effet que ça fait, d’être invisibles dans la langue. Des médias se sont penchés sur des solutions pour y remédier, comme Slate, qui a adopté l’accord de proximité. Saviez-vous qu’avant le XVIIe siècle, cette règle grammaticale était tout à fait acceptée ? Ce serait donc la modernité qui aurait rendu la langue sexiste...
Esther Duflo a remporté le prix Nobel d’Économie, et en plus d’être la deuxième femme (!!) et la quatrième française à l’obtenir depuis 1968, elle fait aussi partie des rares récompensé·e·s à étudier les questions de pauvreté et de développement.
En vrac : Internet a fêté ses 50 ans mardi ; la police britannique a tourné un faux attentat pour entraîner les algorithmes de réseaux comme Facebook à reconnaître les vrais ; la BBC a lancé un miroir de son site web accessible depuis le dark net ; le New-York Times signe un très bel exemple d’investigation en ligne avec cette vidéo et ce papier démontrant que des avions russes bombardent des hôpitaux syriens ; pourquoi le graphisme des couvertures et des illustrations tend vers toujours plus d’aplats des couleurs ? Parce que les nouveaux outils uniformisent le processus de création ; “À quoi servent les riches ?” se demande Le Monde, développant une intéressante démonstration de leur rôle dans l’économie ; du journalisme de données et de datavisualisations (c’est ma passion) : les projections de montée des eaux d’ici 2050, terribles ; avec la fonte des glaces, le sol de l’Arctique devient un émetteur net de carbone, ce qui signifie que la végétation nordique n’est plus en capacité d’absorber la totalité des émissions.
Et pour finir
Un conseil culture
Il y a de la poésie dans le projet Brain pickings. De la poésie et un petit côté totalement vain. 13 ans que ça dure, et que son autrice tente, dirait-on, de répertorier tout l’art et les savoirs du monde. Ou du moins de son versant occidental. Plusieurs fois au fil des années passées, j’ai été abonnée à sa newsletter. Plusieurs fois j’ai renoncé : jamais le temps de tout lire. Avant de lancer la Cyberlettre, je m’y suis remise.
Je reste bien consciente qu’il est difficile de suivre religieusement, chaque semaine, à heure fixe, chaque article publié. Mais pouvoir errer quelques heures entre les pages du site de Maria Popova, une fois de temps en temps, reste un passe-temps des plus agréables. Voici donc un lien vers un article de février 2018, dans lequel elle rapporte un discours de Zadie Smith très actuel, “On Optimism and Despair”. Ou si vous préférez, voilà les conseils de Patti Smith à la jeunesse. Ou encore ces magnifiques dessins issus d’un livre de physique du 19e siècle (Dessinés à la main et si précis ! C’est la folie !).
Cette édition non automatisée vous a-t-elle plu ?
Si oui, transférez-là à autour de vous !
À vendredi,
— Mathilde